Avec sa valise qui débordait de vêtements de prix, son apparence soignée et son calme, Zainab Mohammad Shafia se démarquait à la maison pour femmes en difficulté où elle s'est réfugiée, le 17 avril 2009.

«Elle avait des vêtements coûteux, elle était amicale, ouverte. Ce n'est pas le genre de filles qu'on a habituellement à Passages», a expliqué Jennifer Bumbray, hier, au procès des Shafia, à Kingston. Mme Bumbray est la travailleuse sociale qui a accueilli Zainab à son arrivée à Passages, ressource de Montréal pour femmes en difficulté de 18 à 30 ans. Souvent, les clientes ont des problèmes de drogue, a expliqué Mme Bumbray. Ce n'était pas du tout le cas de Zainab. La raison de son hébergement a été notée comme «violence familiale». La femme de 19 ans a dit que son père voulait la marier à un garçon qu'il avait lui-même choisi et elle s'est plainte qu'on l'empêchait de sortir librement et de fréquenter des garçons. Elle avait peur de son frère Hamed, qui remplaçait le père en son absence et se montrait agressif avec elle. Elle a également raconté avoir été retirée de l'école pendant un an. La jeune femme n'avait aucun papier d'identité, ce sont ses parents qui les gardaient.

Zainab a pris la décision de fuir lorsque ses parents étaient absents. Elle a appelé l'ami de coeur qu'elle voyait en cachette, Ammar Wahid, et lui a demandé de venir la chercher, ou alors elle allait prendre un taxi. Ammar l'a conduite au CLSC de Montréal-Nord. À cet endroit, le personnel a dirigé la jeune femme vers Passages.

Affolés

Ce départ précipité a créé une véritable commotion dans la famille Shafia. Quatre des frères et soeurs de Zainab ont appris la nouvelle par téléphone l'après-midi même, lorsqu'ils sont revenus de l'école. Craignant la réaction de leur père, ils ont arrêté un passant dans la rue et lui ont demandé d'appeler le 911, car ils pensaient que leur vie pouvait être en danger. C'était un vendredi. Les policiers ont rencontré les enfants et se sont entretenus avec chacun d'eux séparément. Il était question de violence à la maison, de la part du grand frère et du père. Les policiers ont alerté la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ). Une autre rencontre a eu lieu le soir même dans la résidence, en présence des parents. Cette fois, les enfants étaient beaucoup moins bavards. L'une des filles a même soutenu que ce qu'elle avait dit plus tôt était faux. La DPJ a décidé de laisser les enfants dans la famille pour la fin de semaine, mais a indiqué qu'il y aurait un suivi le lundi.

De fait, le lundi, une policière et une travailleuse sociale se sont rendues à l'école pour interviewer les enfants Shafia. Sahar et Geeti se plaignaient de violence et du manque de liberté, mais leur apparence dénotait le contraire, selon la policière Laurie-Ann Lefebvre. Sahar était très maquillée, portait des bijoux et des vêtements à la mode.

«Je le lui ai dit, et elle m'a répondu qu'elle se changeait à l'école», a raconté Mme Lefebvre, hier.

La jeune Geeti, 13 ans, paraissait nonchalante. Elle était pratiquement couchée sur la chaise pour discuter avec la policière. Elle demandait à être placée sur-le-champ par la DPJ. «Elle voulait faire comme ses amis. Elle voulait faire des choses sans demander la permission. Je lui ai demandé de clarifier. Elle était vague», se souvient Mme Lefebvre. Celle-ci a avisé Geeti que ses raisons ne motivaient pas un placement.

Mme Lefebvre a aussi parlé avec Zainab. Cette dernière a fait valoir que les règles étaient trop strictes à la maison.

Finalement, au bout du compte, il n'y avait pas de crime comme tel. La police a confié le dossier à la DPJ. Il n'y a pas eu de demande de complément d'enquête, et aucune accusation n'a été portée. Zainab a quitté Passages le 2 mai 2009 et est revenue chez ses parents.

Le 30 juin 2009, Zainab, 19 ans, Sahar, 17 ans, Geeti, 13 ans, et Rona, 53 ans, première femme de Mohammad Shafia, ont été trouvées noyées dans l'écluse de Kingston Mills, en Ontario. Mohammad Shafia, sa femme Tooba et leur fils Hamed sont accusés de les avoir tuées avec préméditation.

Le procès se poursuit aujourd'hui, à Kingston.