Il est tout à fait possible que Luka Rocco Magnotta ait su que ce qu'il faisait était mal, quand il a tué Lin Jun et commis les crimes qui lui sont reprochés.

C'est ce qui se dégage de la conclusion à laquelle est arrivé le Dr Gilles Chamberland, psychiatre retenu par le ministère public pour évaluer le cas de M. Magnotta.

Cette conclusion peut paraître fragile. Le Dr Chamberland, qui témoigne depuis mardi, a signalé qu'il ne pouvait donner de diagnostic « ferme », car il n'a pas pu rencontrer l'accusé pour faire son évaluation. Magnotta a refusé. Le psychiatre a eu accès à la preuve et a assisté aux témoignages des témoins de la défense, y compris ceux des psychiatres qui ont évalué Magnotta. Ceux-ci, la Dre Marie-Frédérique Allard et le Dr Joël Watts, ont tous deux conclu que M. Magnotta savait ce qu'il faisait, au moment des faits, le 25 mai 2012, mais qu'il n'était pas capable de distinguer le bien du mal en raison de la psychose dont il souffrait.

Le Dr Chamberland trouve pour sa part que M. Magnotta était fort bien organisé et en contrôle pour un malade en proie à une psychose.

« La désorganisation de la pensée n'est habituellement pas compatible avec des activités de fuite structurée ou de tentative de camouflage », dit-il.

La motivation sexuelle n'a pas été retenue par les psychiatres Watts et Allard. Le Dr Chamberland se dit d'avis que l'aspect sexuel ne peut être évacué et croit que les paraphilies peuvent avoir joué un rôle. La sexualité était présente avant, pendant et après le délit, notamment lors du montage vidéo, a-t-il relevé.

« Une telle implication de la sexualité avec un tel niveau d'organisation milite incontestablement à l'encontre de l'idée que l'auteur du geste souffrirait d'une schizophrénie », signale le psychiatre, avant de nuancer : « Encore ici, rien n'est impossible en médecine. »

Le médecin rappelle que le dossier de Magnotta implique des paraphilies comme la coprophilie (impliquant des excréments) et le bondage, lié au sadomasochisme. En matière de paraphilie, la tolérance peut amener les individus à pousser plus loin leurs expériences pour ressentir une excitation équivalente, dit-il.

Cinq semaines avant

Le psychiatre Chamberland rappelle que Magnotta a consulté un psychiatre à l'Hôpital général juif, cinq semaines avant de tuer Lin Jun. Ce psychiatre, le Dr Joel Paris, qui avait vu Magnotta pendant une heure, avait conclu à un trouble de personnalité limite. Le Dr Chamberland opine. Il pourrait s'agir d'un trouble de la personnalité antisociale, histrionique, narcissique et de personnalité limite.

Le Dr Chamberland retient aussi que la consommation de substances pourrait avoir joué un rôle. Enfin, il a trouvé plusieurs éléments qui confortent la thèse de la simulation de la part de l'accusé. Il laisse entendre que Magnotta pouvait adapter son discours en fonction de son interlocuteur pour parvenir à son but, comme avoir des médicaments ou recevoir de l'aide sociale bonifiée destinée à une personne inapte au travail.

Le Dr Chamberland a donné l'exemple d'une lettre que Magnotta a écrite au gouvernement en janvier 2001 pour toucher ce type de prestations. Il y détaillait ses symptômes qui correspondaient tout à fait à la schizophrénie. Peut-être un peu trop, même, car il y avait les symptômes négatifs et positifs, et tout était décrit en détail.

M. Magnotta a été vu en psychiatrie dès le début de son âge adulte. Il a reçu un diagnostic de schizophrénie, et même rapidement de « schizophrénie chronique ». Le Dr Chamberland a émis des réserves sur ces diagnostics, d'autant que la maladie devient chronique avec le temps, de manière générale. Les symptômes de Magnotta pouvaient être attribuables à la consommation de cocaïne, croit le Dr Chamberland. À l'époque, cette possibilité avait d'ailleurs été soulevée.

Le procès se poursuit aujourd'hui, avec la suite du témoignage du Dr Chamberland.