Quand il a été admis dans l'aile psychiatrique de la prison de Berlin, le 11 juin 2012, Luka Rocco Magnotta avait les sourcils accentués par du noir provenant probablement de cendre de cigarettes. Il évitait le regard de son interlocuteur, fixait le vide et marmonnait par moments. Il disait avoir peur, être anxieux et seul.

Ces notes font partie du rapport que le psychiatre Thomas Barth a rédigé le 18 juin 2012, après avoir traité Luka Rocco Magnotta pendant une semaine à Berlin. Dans le cadre de son évaluation, faite trois semaines après le meurtre et le démembrement de Lin Jun, le Dr Barth avait conclu que Magnotta traversait un «épisode psychotique sévère, probablement lié à une schizophrénie paranoïde».

Le Dr Barth, qui est venu d'Allemagne pour témoigner au procès de Magnotta, à la demande de la défense, ne pouvait être plus précis, a-t-il expliqué hier. Il n'a vu Magnotta que pendant une semaine, entre le 11 et le 18 juin 2012, alors qu'il faut au moins un mois pour poser un diagnostic. Néanmoins, le Dr Barth semble assez sûr de lui quand il parle de schizophrénie. Selon lui, l'état de Magnotta et ses symptômes paraissaient bien réels. Il s'est même attiré la sympathie du personnel infirmier pendant son séjour, «car il souffrait vraiment». Et en cette matière, le personnel, qui en a vu d'autres, est difficile à tromper, selon le psychiatre.

Le Dr Barth admet que certains détenus peuvent feindre la maladie mentale pour être admis dans l'aile psychiatrique de la prison. L'endroit est beaucoup plus moderne, et les détenus y sont plus libres. Mais les «acteurs» sont repérés, car ils ne peuvent jouer la comédie longtemps, dit-il.

En ce qui concerne Magnotta, il a été transféré dans l'aile psychiatrique une semaine après son arrestation, parce que la schizophrénie était mentionnée dans son mandat d'arrêt et que l'affaire était extrêmement médiatisée. Hier, le Dr Barth a révélé que Magnotta recevait des cartes postales et des lettres d'admirateurs, en prison. L'un d'eux lui avait même envoyé des chaussettes: il lui demandait de les porter et de les lui renvoyer par la suite.

Magnotta ne voulait rien savoir de ce courrier, selon le Dr Barth. D'ailleurs, il ne voulait même pas être approché par les autres patients. Il passait le plus clair de son temps dans sa chambre, la porte fermée. Par contre, il mangeait avec les autres aux repas, puisque c'est ainsi que cela se passe toujours.

Épié

Lors de la première rencontre avec le Dr Barth, Magnotta a dit qu'il entendait des voix, qu'il avait comme une radio dans la tête. Il se sentait épié. Il a demandé au Dr Barth de fermer une fenêtre, car Debby l'épiait avec une caméra et ne le laissait jamais tranquille. Il avait un discours décousu, passait du coq à l'âne. Il a parlé de sa mère «alcoolique», - «c'est une sorcière, je la déteste»; de Robin, un ex-petit ami qui lui avait fait prendre des stéroïdes et avait tenté de l'empoisonner; de Manny, un pimp américain de 35 ans qui l'obligeait à se prostituer avec des hommes, qui le battait et lui faisait faire des vidéos avec des animaux, alors que lui, il «aime les animaux».

Et il a eu cette phrase: «Jenny travaille avec Stephen Harper, c'est le diable.»

Le Dr Barth a précisé qu'il s'était fait un devoir de ne pas aborder les événements qui lui étaient reprochés. Son rôle était de traiter M. Magnotta pendant sa détention, avant son extradition. Celle-ci est survenue plus vite que prévu, le 18 juin.

Magnotta a raconté qu'il s'était senti «handicapé» toute sa vie.

Le Dr Barth revient à la barre aujourd'hui pour la suite de son contre-interrogatoire.