Paul Desmarais n'aimait ni les flatteurs ni les flatteries, a dit son ami, l'ex-président français Nicolas Sarkozy, mais cela n'a pas empêché les nombreux dignitaires présents à la basilique Notre-Dame de Montréal de lui rendre de vibrants hommages, mardi, lors de la cérémonie qui s'est déroulée en sa mémoire.

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M. Sarkozy, un des derniers invités à fouler le tapis rouge déroulé sur le parvis de la basilique, aux côtés de la veuve de M. Desmarais, a notamment loué la simplicité de celui qu'il a simplement appelé «Paul», un homme qu'il «aimait» et qu'il «admirait».

«Si Paul était là, il me donnerait une grande tape dans le dos. Il me dirait »mais tais-toi donc«. Laisse tout ça de côté, et parle-moi donc de toi», a raconté M. Sarkozy.

«Ton absence est lourde à porter», a-t-il ajouté, à propos de son ami.

L'actuel premier ministre du Canada, Stephen Harper, les ex-premiers ministres Jean Chrétien et Brian Mulroney, ainsi que l'ancien secrétaire d'État américain sous George H. W. Bush, James Baker, avaient précédé M. Sarkozy dans le choeur de l'église.

M. Baker a quant à lui décrit à quel point il admirait le succès connu par M. Desmarais au fil des années. «Paul Desmarais était une preuve que ce que nous appelions le rêve américain existait bel et bien au Canada, a dit le diplomate. C'est un »self made man«.»

Brian Mulroney s'est pour sa part lancé dans une anecdote à propos d'une conversation dont il avait été témoin entre M. Desmarais et la reine Élizabeth II lors d'un voyage de cette dernière au Canada à l'époque où il était premier ministre.

«Quelques jours plus tard, je me suis rendu dans mon comté, où se trouvait aussi Sagard (où résidait M. Desmarais), a raconté M. Mulroney. Paul était assis sur le balcon avec deux de ses travailleurs en train de dessiner les plans d'un nouveau garage. Je me suis rendu compte que Paul se comportait avec les travailleurs de la même façon qu'il l'avait fait avec la reine.»

Après les allocutions des dignitaires, la veuve de M. Desmarais, Jacqueline, a brièvement pris la parole, se disant «émue» de voir autant de gens s'être déplacés.

L'Orchestre métropolitain, dirigé par Yannick Nézet-Séguin, a livré une courte performance en guise d'introduction, puis une deuxième, beaucoup plus longue, en fin de cérémonie pour souligner la mémoire du disparu.

Le curé de la paroisse Notre-Dame de Montréal, Robert Gagné, ainsi que l'Archevêque de Montréal, Mgr Christian Lépine, se sont quant à eux chargés, avec sobriété, du déroulement de la cérémonie.

Ils se sont contentés de rappeler l'engagement et l'implication du citoyen qu'était Paul Desmarais en dépit de l'empire qu'il avait réussi à bâtir.

La cérémonie commémorative a attiré le gratin des mondes politique et économique, qui ont défilé devant quelques curieux réunis dans le Vieux-Montréal - et plusieurs journalistes.

À l'extérieur de la basilique, la première ministre du Québec, Pauline Marois, ainsi que les anciens premiers ministres Jean Charest, Lucien Bouchard, Bernard Landry et Daniel Johnson, ont tous rendu un dernier hommage à Paul Desmarais.

«C'était très touchant; c'est une cérémonie qui évoquait beaucoup l'homme qu'était Paul Desmarais. Il passe très peu d'hommes de cette trempe», a confié M. Charest à sa sortie de l'église.

La présence de trois leaders d'allégeance souverainiste à une cérémonie organisée en mémoire d'un fervent défenseur de l'option fédéraliste témoigne des qualités de rassembleur de l'homme.

«Je savais ce qu'il pensait et il savait ce que je pensais, et on acceptait nos opinions respectives. Mais on se rejoignait bien ailleurs, sur les relations personnelles et humaines. (...) On parlait de biographies, d'histoire», s'est souvenu Lucien Bouchard.

«C'était surtout un homme extrêmement humain, et c'est la raison pour laquelle vous voyez autant de gens ici», a-t-il ajouté.

De leur côté, les politiciens issus de la scène fédérale ont évidemment tenu à signaler à quel point Paul Desmarais aura été un formidable porte-étendard de l'unité canadienne, autant à l'échelle nationale que sur la scène internationale.

«Il croyait beaucoup dans l'unité du pays (...) et il avait un point de vue très ouvert sur l'importance de la participation du Canada dans le monde. Il a établi des relations importantes avec la Chine et avec l'Europe», a fait remarquer l'ancien chef intérimaire du Parti libéral du Canada, Bob Rae.

L'homme «a servi le Québec et le Canada avec énormément de vision et de force», a lui aussi plaidé l'actuel chef libéral Justin Trudeau, qui a évoqué des souvenirs de l'amitié qui unissait l'homme d'affaires et son père, l'ancien premier ministre canadien Pierre Elliott Trudeau, mais aussi de celle qui le lie aux deux fils de M. Desmarais, André et Paul fils.

Le chanteur Robert Charlebois et le pianiste Alain Lefèvre étaient aussi présents et ont salué le rôle qu'a joué M. Desmarais dans la promotion de la culture, notamment à titre de mécène.

«C'était un fou de la musique, a confié M. Charlebois. Et pas seulement l'opéra. Jackie (l'épouse de Paul Desmarais) aime l'opéra, mais elle peut aussi apprécier la musique country ou la musique pop.

«J'ai beaucoup ri avec lui. Ça prendrait mille pages pour raconter tous les souvenirs que j'ai avec lui», a ajouté l'artiste, ému.

Le prolifique homme d'affaires avait ses entrées à Ottawa et à Québec.

Son fils André a épousé la fille de Jean Chrétien, France, et l'ancien premier ministre libéral Paul Martin, aussi présent à la cérémonie, a longtemps travaillé pour lui.

Jean Chrétien a souligné que M. Desmarais, un franco-ontarien natif de Sudbury, avait bâti un empire à force de travail et de détermination.

Un parcours qui n'est pas sans rappeler celui du «petit gars de Shawinigan», a convenu le principal intéressé.

«Oui... c'est la même histoire, mais dans des domaines différents», a-t-il laissé tomber lorsqu'on lui a posé la question.

La sphère d'influence de Paul Desmarais ne se limitait toutefois pas au Canada, et ils ont été plusieurs à le souligner en grimpant les marches de la basilique.

«Il laisse l'héritage de quelqu'un d'ouvert sur le monde, d'un Québécois internationaliste», a souligné l'ancien ministre des Finances du Québec, Raymond Bachand.

«Il a été un pionnier dans les services financiers en français. (...) Ses succès à la grandeur du Canada et même à l'échelle internationale sont aussi des exemples à suivre», a pour sa part indiqué Daniel Johnson.

À cela s'ajoute le fait que Nicolas Sarkozy a déjà affirmé qu'il devait en partie son élection à l'amitié et aux conseils de M. Desmarais.

L'ancien dirigeant de Power Corporation s'est éteint le 8 octobre à l'âge de 86 ans. Il a laissé dans le deuil sa conjointe, Jacqueline Maranger, quatre enfants et plusieurs petits-enfants.

Photo Michel Gravel, archives La Presse

Paul Desmarais en 1990.