Le parc locatif montréalais vieillit. Certains propriétaires négligent d'entretenir leur immeuble. Résultat : en l'espace de quelques années, leur édifice se détériore et devient... un nouveau taudis. Moisissures, punaises, coquerelles : entrez avec nous dans les taudis montréalais, version 2014.

Irise Archambault est une réfugiée des moisissures. Après avoir quitté un premier logement gravement contaminé, elle a dû déménager trois fois: chaque fois, son nouvel appartement était infesté. Sa saga personnelle s'étend sur trois ans, au cours desquels elle a subi pas moins de sept pneumonies.

La femme de 60 ans a vécu pendant des années dans un logement d'Outremont. Elle toussait et toussait. Dans le corridor, l'eau s'écoulait constamment du plafond. Il y avait des traces noires sur les murs de son appartement. «De la saleté», avait décrété le concierge. Après avoir consulté plusieurs médecins et subi une opération aux poumons, elle est orientée vers un médecin de la Direction de la santé publique (DSP), le docteur Louis Jacques.

Ce dernier ordonne une inspection de l'appartement. Conclusions: cinq types différents de moisissures, dont deux extrêmement nocifs pour la santé des habitants. L'appartement doit être complètement rénové. Dans les deux logements suivants où elle élira domicile, Mme Archambault retombe malade... et on retrouve des moisissures. Lorsqu'elle aboutit finalement dans un HLM salubre, son propriétaire d'origine lui envoie ses meubles sans les avoir décontaminés.

Elle retombe malade.

«J'ai dû tout jeter. Les moisissures m'ont coûté beaucoup d'argent et m'ont surtout pris ma santé», dit la femme, qui a dû abandonner son travail. «C'est sérieux, les moisissures. C'est une épidémie à Montréal. Il y en a beaucoup plus qu'on pense.»



Photo David Boily, La Presse

Irise Archambeaulta beaucoup souffert à cause de problèmes de moisissures dans les taudis.

SOS insalubrité

Une chose est sûre: sans le Dr Jacques, jamais Irise Archambault n'aurait compris la vraie nature du mal qui la rongeait. Le médecin et son collègue Stéphane Perron, tous deux de la DSP, font partie d'une brigade des taudis qui s'attaque aux problèmes d'insalubrité extrêmes et tente de mettre fin au laisser-aller des propriétaires délinquants de la Ville.

Cette équipe, qui compte deux médecins et une hygiéniste, a été créée en 2006 en réaction à la hausse préoccupante des cas d'insalubrité. Sa mission: traiter les problèmes les plus urgents, souvent référés par la Ville, les CSSS et les comités de logements.

Le DrPerron s'est greffé à l'équipe en 2008. La guerre aux punaises de lits, aux moisissures et aux coquerelles l'occupe presque à temps complet. De son propre aveu, les nombreuses études scientifiques produites ces dernières années sont devenues de puissantes alliées.

L'action des médecins de la DSP a été déterminante dans la lutte aux taudis des dernières années, souligne Claude Dagneau, de l'Organisation d'éducation et d'information sur le logement, qui oeuvre à Côte-des-Neiges, l'un des quartiers les plus touchés par l'insalubrité.

«On leur envoie quatre ou cinq références par semaine. On espère vraiment qu'ils vont pouvoir agrandir leur équipe», dit-il.

«Ils nous ont alertés sur un énorme problème d'insalubrité dans notre arrondissement. Les rapports qu'ils produisent sont très exhaustifs», ajoute Catherine Tétrault, travailleuse sociale au centre de pédiatrie sociale Au coeur de l'enfance, dans l'arrondissement de Saint-Laurent.

Cependant, la DSP a ses limites: «ils font des recommandations, mais leur rapport n'a pas de dents. Dans certains cas, ils recommandent l'évacuation, mais l'inspecteur vient, fait un constat visuel superficiel et renverse la décision», dit Christine Durocher, directrice générale d'Au coeur de l'enfance.

Il faut dire que les médecins de la DSP se sont dotés d'équipements à la fine pointe de la technologie qui permettent de déceler l'humidité dans la structure de l'immeuble même s'il n'y a aucune trace de moisissures.