Un document secret de la Police militaire confirme que la moitié des Afghans qui ont été capturés par les soldats canadiens de novembre 2010 à mai 2011 en Afghanistan ont été relâchés après avoir été incarcérés parce qu'ils n'avaient aucun lien avec les insurgés talibans.

Daté du 29 mai 2011, ce document de cinq pages a été remis aux officiers supérieurs du quartier général du ministère de la Défense à Ottawa qui étaient chargés de la planification et du bon déroulement de la mission de combat des troupes canadiennes en Afghanistan.

Ce document, obtenu par La Presse, révèle que les soldats canadiens qui étaient déployés dans la région de Kandahar ont capturé en tout 214 Afghans durant cette période de six mois.

De ce nombre, 24 individus ont été immédiatement relâchés sur le terrain après avoir été capturés par les soldats canadiens, tandis que 189 autres ont été conduits au centre de détention de la base de Kandahar qui était sous le contrôle de la Police militaire. Un Afghan a succombé à ses blessures avant son transport au centre de détention.

« Durant la rotation 10, du 22 novembre 2010 au 20 mai 2011, 214 détenus se sont vu remettre un numéro de prisonnier et 189 ont été évalués au DTF [Detention Facility Centre-Centre de détention] », écrit le commandant officier de la Police militaire, le major Steeve Grégoire, dans son rapport rédigé en anglais à ses supérieurs.

Le rapport précise que 84 des 189 Afghans (45 %) qui étaient sous la garde de la Police militaire ont été remis en liberté après une période de détention en l'absence de preuves qu'ils appuyaient les insurgés talibans. Mais 98 autres Afghans ont été transférés aux forces policières afghanes, le NDS.

Dans son rapport, le major Steeve Grégoire indique d'ailleurs que le Service national des enquêtes des Forces canadiennes (SNEFC) « était chargé d'enquêter sur les incidents majeurs, les allégations de mauvais traitement des détenus, les allégations de pertes civiles, la mort de soldats et d'autres enquêtes qui étaient nécessaires ». Le mandat du SNEFC est d'enquêter sur les allégations touchant la Police militaire. Le major Grégoire n'a toutefois pas donné plus de détails sur les enquêtes qui ont été menées par le SNEFC dans le rapport obtenu par La Presse.

DÉCLARATIONS CONFIRMÉES

Ce document vient confirmer les déclarations d'un petit groupe de policiers militaires, contenues dans une lettre coup de poing publiée hier dans La Presse, selon lesquelles près de la moitié des Afghans qui ont été emmenés par les soldats canadiens au centre de détention de la base militaire de Kandahar étaient des civils innocents.

Selon ces policiers militaires, qui ont réclamé l'anonymat du fait qu'ils risquent la prison pour cette sortie, ces prisonniers ont été détenus en moyenne deux mois avant d'être relâchés, alors que le gouvernement canadien affirmait publiquement à l'époque qu'ils étaient détenus en moyenne tout au plus 48 à 96 heures.

Ce sont ces mêmes prisonniers afghans qui, avant d'être relâchés, auraient subi les contrecoups des « exercices d'entrées dynamiques » - incursions sans préavis en pleine nuit - qui auraient été menés dans leurs cellules par les policiers militaires.

La Presse a rencontré un des signataires de la lettre. Ces derniers affirment tous avoir été témoins des événements survenus dans le centre de détention de Kandahar. 

En mai 2015, La Presse a révélé que des policiers militaires canadiens en mission en Afghanistan auraient instauré un climat de terreur dans la prison de la base de Kandahar sans jamais être sanctionnés par le ministère de la Défense. Les gestes répréhensibles se seraient produits en décembre 2010 et janvier 2011, tandis que la mission de combat des soldats canadiens tirait à sa fin en Afghanistan.

Sur ordre de leurs supérieurs, des policiers militaires canadiens auraient effectué des « entrées dynamiques » dans les cellules. Leur objectif était de contraindre les prisonniers à dévoiler des informations pouvant permettre aux troupes canadiennes et à leurs alliés occidentaux de contrer les menaces des insurgés talibans ou de trouver des caches d'armes. 

En novembre dernier, la Commission d'examen des plaintes concernant la Police militaire (CPPM) a décidé de lancer une enquête sur ces allégations de mauvais traitements. Vendredi dernier, la CPPM a obtenu les dossiers et les enregistrements liés à ces événements qu'elle réclamait de la part de l'état-major de la Police militaire.