Sylvain Guérette est revenu changé d'Afghanistan: agressivité, perte de sommeil, hyper vigilance. Même si le caporal-chef n'a pas vu les combats de près, une roquette tombée non loin de lui sur la base de Kandahar a fissuré le barrage mental derrière lequel il avait refoulé les mauvais souvenirs de ses précédentes missions. «Quand je suis revenu, je n'étais plus normal.»



Le militaire de 51 ans n'est pas seul à avoir été broyé psychologiquement par la guerre en Afghanistan. Près du tiers des soldats canadiens ayant pris part au conflit ont demandé de l'aide psychologique à leur retour de mission, révèle une étude des Forces canadiennes. Le document, obtenu par La Presse en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, indique qu'un militaire sur huit a finalement reçu un diagnostic de trouble de santé mentale.

Les Forces armées ont réalisé en 2011 une importante étude épidémiologique pour évaluer la prévalence des problèmes de santé mentale chez les quelque 40 000 soldats qui ont servi en Afghanistan depuis 2001. Une équipe de médecins militaires a analysé le dossier médical de 2045 soldats déployés de 2001 à 2008, afin de déterminer l'importance de ce que les militaires appellent dans leur jargon les «blessures dues au stress opérationnel».

Dans les cinq années qui ont suivi leur retour au pays, 30,2% des militaires ont demandé à obtenir de l'aide psychologique. Au bout du compte, près de la moitié d'entre eux (13,2% de tous les dossiers analysés) ont reçu un diagnostic de trouble de santé mentale.

Le syndrome de stress post-traumatique (TSPT) a été le principal problème observé chez ces vétérans, soit 8% de tous les soldats revenus d'Afghanistan. La dépression et l'anxiété ont affligé une autre tranche de 5,2%.

D'après ces résultats, environ 5400 vétérans du conflit afghan vivraient aujourd'hui avec des séquelles psychologiques de cette mission. Ils s'ajoutent aux 158 morts et 2047 blessés des Forces canadiennes en Afghanistan.

Les auteurs de l'étude soulignent que leurs résultats sous-estiment probablement la réalité, puisqu'ils ne peuvent tenir compte des soldats n'ayant pas réclamé d'aide. Ils citent une autre étude des Forces canadiennes, réalisée en 2002, qui indiquait que les militaires attendaient en moyenne cinq ans et demi avant de consulter.

Risques à Kandahar

Les données de l'étude de novembre 2011 permettent de constater que les soldats déployés à Kandahar, où les Forces canadiennes ont connu leurs plus violents combats, en sont revenus plus traumatisés - 17,1% d'entre eux ont reçu un diagnostic de trouble de santé mentale.

À Kaboul, les affrontements ont été moins marqués, mais 14,5% des soldats déployés dans la capitale afghane ont tout de même souffert de ces problèmes à leur retour. Enfin, les militaires ayant travaillé à la logistique de la mission afghane ont été beaucoup moins touchés. Ainsi, seulement 6,5% d'entre eux ont souffert de troubles psychologiques.

Les auteurs ont constaté que les soldats de l'armée de terre (infanterie, artillerie) couraient deux fois plus de risques d'éprouver des problèmes de santé mentale que ceux provenant de l'aviation et de la marine. L'armée de terre a fourni l'essentiel des troupes de combat, tandis que les deux autres divisions ont contribué davantage au soutien logistique. De plus, le grade militaire influe beaucoup sur la situation, puisque les officiers ont présenté moins de problèmes à leur retour que leurs subalternes.

L'étude ne permet toutefois pas d'établir de lien entre les problèmes de santé mentale et le sexe ou l'âge des soldats. Soulignons que 10% des militaires envoyés en Afghanistan étaient des femmes. La moyenne d'âge du contingent canadien était quant à elle de 36 ans.

Résultats différents

Ces résultats tranchent avec ceux d'une étude similaire réalisée en 1997 auprès des vétérans de la première guerre du Golfe, en 1991. L'analyse menée auprès de 3000 des 4500 soldats canadiens qui ont pris part à ce conflit a conclu que 2,5 % d'entre eux ont souffert de problèmes de santé mentale. Cette proportion, beaucoup moins élevée, s'explique par la courte durée du conflit et par les combats moins intenses auxquels ont participé des Canadiens, précisent les auteurs de l'étude de 2011.

Sylvain Guérette estime que l'armée prend maintenant plus au sérieux les problèmes de santé mentale. «Ils se sont réveillés. Aujourd'hui, il y a beaucoup plus d'aide fournie», estime ce vétéran qui a participé à six missions.

Suivi depuis cinq ans pour des «bibittes» héritées de ses passages en Somalie, en Bosnie et en Haïti, le caporal-chef prend aujourd'hui sa retraite de l'armée. Sylvain Guérette a beau être «libéré» de son service militaire, il sait très bien que les séquelles le suivront encore.

- Avec William Leclerc