Un ancien commandant haut gradé qui dirigeait l'effort de guerre canadien en Afghanistan a eu de vifs échanges avec un avocat de la défense des droits humains, mercredi, sur ce qui constitue une preuve de torture.

Le lieutenant-général à la retraite Michel Gauthier a déclaré lors d'une audience que des marques sur le corps d'un prisonnier et une paire de câbles suspects trouvés à proximité ne constituaient pas des preuves sans faille de la torture d'un prisonnier, bien qu'il ait été «certainement possible» que l'homme ait subi des mauvais traitements.

«Quelles sont les autres preuves dont vous avez besoin?», lui a demandé Paul Champ, un avocat d'Amnistie Internationale et de la British Columbia Civil Liberties Association, pendant le vigoureux échange.

«Dans ce cas particulier, il était évident qu'il y avait des raisons de s'inquiéter et de passer à l'action», a répondu l'ancien lieutenant-général.

M. Gauthier est le plus haut gradé militaire à témoigner devant la Commission d'examen des plaintes contre la police militaire, dont le mandat est d'examiner si des Canadiens ont transféré des prisonniers aux autorités afghanes en sachant que ceux-ci risquaient d'être torturés.

L'ex-militaire a eu maille à partir avec Me Champ, sur la question des preuves de torture, M. Gauthier finissant par déclarer que cette question ne concernait pas l'armée, qui se penchait plutôt sur la question de la coopération de la part des autorités afghanes concernant le transfert de prisonniers.

Le gouvernement fédéral affirme qu'un prisonnier a sans doute subi de mauvais traitements de la part de ses geôliers au début du mois de novembre 2007.

L'échange entre MM Gauthier et Champ va au coeur du débat sur la question des mauvais traitements. Les lois internationales interdisent le transfert de prisonniers entre États s'il y a un risque qu'ils soient torturés et il appartient à ceux remettant les détenus de vérifier si les conditions sont sécuritaires.

Des preuves présentées durant cette enquête démontrent que les commandants militaires en Afghanistan en 2007 étaient de plus en plus agacés par le fait que les diplomates des Affaires étrangères ne visitaient pas assez souvent les prisons pour en vérifier les conditions de détention et pour ne pas avoir offert une vision claire des risques auxquels faisaient face les prisonniers.

Le général Gauthier a écarté les critiques de ses anciens subordonnés, affirmant que tout le monde avait appris «10 000 leçons» dans de telles circonstances.

«Je ne vais pas lancer la pierre aux Affaires étrangères ici, je crois qu'ils ont agi au meilleur de leur capacité.»

Me Champ a mené M. Gauthier à travers une série de rapports et de courriels qui détaillaient des allégations non-étayées de mauvais traitements mis au jour par des diplomates canadiens durant le printemps et l'été 2007. Entre mai 2007 et février 2008, il y a eu huit plaintes de mauvais traitements sur 38 prisonniers interrogés.

Les transferts de détenus ont été interrompus trois fois en 2007 par peur que ceux-ci soient torturés, mais Michel Gauthier a pris la défense de la reprise des transferts en affirmant que les dangers étaient précisément évalués.

Pourquoi l'armée a-t-elle continué à transférer des détenus à la lumière des allégations, spécialement lorsque les rapports ont fait leur apparition en septembre de cette année-là?

«Plusieurs personnes ont examiné cette question avec attention et n'ont pas fait état de problèmes», a répondu le lieutenant-général Gauthier.

Celui-ci a également défendu ses commandants, qui signaient les ordres de transfert de prisonniers, avant d'accepter la responsabilité de leurs décisions.

Un premier rapport passé inaperçu

L'ancien chef du commandement outre-mer canadien affirme qu'il ne se rappelle pas avoir vu une importante note diplomatique qui faisait part des premières allégations de mauvais traitements envers les prisonniers afghans.

Le lieutenant-général à la retraite Michel Gauthier a déclaré mercredi qu'un courriel daté du 25 avril 2007, provenant de Gavin Buchan, le directeur politique du centre de reconstruction de Kandahar, ne lui était pas adressé. Ce rapport détaillait les plaintes de deux prisonniers selon lesquelles ils avaient été battus par leurs geôliers afghans.

Des diplomates ont commencé à écumer les prisons de Kandahar et de Kaboul après que des rapports eurent fait mention que des détenus capturés par les Canadiens subissaient de mauvais traitement après avoir été transférés aux autorités locales.

La note de M. Buchan était le premier rapport direct de mauvais traitements reçu par les responsables canadiens -des allégations qui devaient faire l'objet d'un suivi.

M. Gauthier, l'ancien chef du Commandement de la Force expéditionnaire du Canada, a indiqué qu'Ottawa était déjà à la recherche d'un meilleur système de surveillance des détenus transférés lorsque les rumeurs sont apparues, et qu'il se passait beaucoup de chose lorsque la note de Gavin Buchan a été transmise.

Le lieutenant-général à la retraite témoignait devant la Commission d'examen des plaintes contre la police militaire, qui tient des audiences sur le traitement des détenus afghans remis aux autorités afghanes par les militaires canadiens.