Dans un Québec habitué aux couloirs d'hôpital vétustes et encombrés de civières, une visite au dernier étage de l'hôpital Sainte-Anne, dans l'ouest de l'île de Montréal, paraît surréaliste: les chambres sont vastes, claires, fraîchement rénovées. L'équipement médical est à la fine pointe de la technologie. Mais depuis un an, l'étage est... totalement désert.

C'est que l'hôpital Sainte-Anne n'admet que les vétérans de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre de Corée. Dans les années 80, ils étaient près d'un millier. Aujourd'hui, cet hôpital administré par le ministère des Anciens Combattants ne compte plus que 414 patients, toujours plus vieux (la moyenne d'âge est de 88 ans) et toujours moins nombreux. D'où la fermeture du dernier étage, l'automne dernier.

L'Hôpital n'a pas le choix: il doit revoir sa mission. Et vite. «On va perdre beaucoup de patients en même temps. Dans les prochaines années, ça va descendre à pic», admet la directrice générale, Rachel Corneille Gravel. Ottawa entreprendra cet automne des négociations avec Québec, qui s'est montré intéressé à acquérir l'hôpital de 14 étages - rénovés à grands frais dans la dernière décennie - tout en lui conservant sa vocation de centre de soins de longue durée.

Mais les nouveaux vétérans - ceux qui ont servi en Bosnie, au Rwanda, en Afghanistan ou ailleurs - ne voient pas tous ce changement d'un bon oeil, prévient le colonel à la retraite Michel Drapeau. «Ils ne comprennent pas cet étage vide alors qu'ils attendent qu'on s'occupe d'eux. On doit arrêter de penser que les anciens combattants, ce ne sont que les vétérans de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre de Corée. Le Canada envoie des soldats en guerre. Il a la responsabilité de les soigner par la suite.»

La cession de l'hôpital risque d'être perçue comme un désistement de la part d'Ottawa, surtout dans le contexte actuel, alors que la colère gronde déjà dans les rangs des nouveaux vétérans, ajoute M. Drapeau. «La logique m'échappe.»

Elle est pourtant simple, assure le ministre des Anciens Combattants, Jean-Pierre Blackburn: «Les soldats qui reviennent d'Afghanistan n'ont pas l'âge d'aller dans un centre de soins de longue durée. Ils n'ont pas les mêmes besoins.» Or, à l'hôpital Sainte-Anne, tout est pensé en fonction des personnes âgées, des bains hydrauliques aux planchers antidérapants. Même les cuisiniers offrent des «purées reformées» aux patients, c'est-à-dire qu'ils s'efforcent de redonner au brocoli ou au poulet en purée leur forme originale.

Et l'avenir du Ministère?

Il n'y a pas que le sort l'hôpital Sainte-Anne qui soit en discussion. En fait, c'est l'avenir du ministère des Anciens Combattants tout entier qui est en jeu. Chaque mois, 1700 vétérans de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre de Corée s'éteignent. Des 1,1 million de soldats ayant pris part à ces deux guerres, seulement 155 700 sont toujours en vie.

«D'ici cinq ans, les nouveaux vétérans dépasseront en nombre les anciens combattants traditionnels, dit M. Blackburn. Notre ministère, lui aussi, a pris de l'âge. Il doit maintenant prendre un virage important pour être capable de desservir une nouvelle clientèle, beaucoup plus jeune, qui va arriver en grand nombre en 2011, au moment où le Canada va se retirer de l'Afghanistan.»

Pas question de démanteler le Ministère ni de le fusionner avec celui de la Défense, assure toutefois le ministre. «Ces rumeurs sont entièrement fausses.» Cela dit, compte tenu de la disparition rapide des vétérans traditionnels, «on peut comprendre qu'on aura besoin de moins d'employés dans le futur».