Alors que l'armée, le gouvernement canadien et son ministère de la Défense nient depuis des mois qu'il y ait des risques de torture pour ses détenus dans les prisons afghanes, une commission d'enquête militaire vient de conclure que les autorités afghanes battaient des citoyens dans la rue et que la chose était bien connue au sein des Forces canadiennes.

Un rapport, déposé vendredi au terme d'une enquête de cinq semaines, constate que les troupes déployées sur le terrain avaient des inquiétudes quant au traitement qui était infligé par la police afghane.

«Cette police faisait usage de châtiments corporels apparemment comme bon lui semblait dans la rue tandis que, ailleurs, cette pratique était courante et faisait l'objet d'observations et de commentaires de la part de la plupart des membres des Forces canadiennes», peut-on lire parmi les constations de la commission.

Cette dernière s'est penchée sur le sort qu'a subi un détenu afghan, qui a été torturé par les autorités locales après avoir été remis à celles-ci par l'armée canadienne.

Le prisonnier avait dû être récupéré par les Canadiens, lorsque ceux-ci ont constaté qu'il était maltraité aux mains des Afghans. Le détenu avait été battu à l'aide d'une chaussure et retrouvé le nez ensanglanté.

Après avoir intercepté un véhicule, le 14 juin 2006, l'armée canadienne a retenu l'un des occupants -l'individu au coeur de cette enquête-, et l'a remis à la police afghane afin qu'elle le conduise à ses quartiers généraux. Au moment de l'échange, toutefois, le commandant du peloton a constaté qu'un policier «est devenu très agité» et il avait «le sentiment» que quelque chose n'allait peut-être pas».

L'ingénieur de la section s'est par la suite fait demander de prendre des photographies du détenu.

«Le fait de prendre (censuré) en photos constituait une façon pour le 5e peloton de signifier aux membres de l'Unité 5 de la PNA (Police nationale afghane) qu'on s'attendait à ce que ce dernier parvienne à (censuré) dans les mêmes conditions qu'il y avait été envoyé», explique-t-on dans le rapport, dont certains passages ont été biffés.

Le contre-amiral Paul Maddison, venu présenter les conclusions du rapport en point de presse au ministère de la Défense nationale, vendredi, a également expliqué que les militaires canadiens n'avaient pas confiance en la police afghane, qui manquait de «professionnalisme», selon eux.

Malgré cette faible opinion de sa partenaire sur le terrain, et les informations qui circulaient à l'effet qu'elle maltraitait des individus, l'armée canadienne a continué de s'associer à la police afghane.

Car les soldats consultés considéraient que les «formes de violence mineure» étaient une «norme culturelle», a plaidé le contre-amiral, et il n'y avait «aucune observation directe» qui puisse donner à penser que les détenus transférés seraient torturés.

Or, selon l'opposition, les révélations du rapport viennent confirmer ses inquiétudes.

«C'est assez évident que des autorités qui battent ouvertement des gens dans les rues ne vont pas hésiter à faire de même, ou pire, dans une prison ou à l'abri des regards du public», a jugé le porte-parole néo-démocrate en matière de défense, Jack Harris, qui réclame, tout comme son homologue bloquiste Claude Bachand, la tenue d'une enquête publique.

L'opposition à Ottawa tente de déterminer, depuis l'automne, si le gouvernement conservateur a été averti que les prisonniers que transférait son armée aux autorités afghanes risquaient la torture et, si oui, à quel moment. Car le fait d'exposer un prisonnier à un risque de torture constitue une violation du droit international et représente un crime de guerre.

L'enquête militaire a été lancée en décembre par le chef d'état-major de la Défense, le général Walter Natynczyk, qui avait alors fait volte-face en affirmant que le détenu avait bel et bien été transféré par des soldats canadiens. Le général, l'armée et le gouvernement avaient pourtant soutenu pendant plus de deux ans que tel n'avait pas été le cas.

Or, il s'avère qu'ils avaient tous raison, conclut le rapport. Le malentendu, explique le document de quelque 200 pages, provient d'une «divergence dans les interprétations tout au long de la chaîne de commandement», qui a mené à une «incohérence dans l'établissement des rapports sur les détenus».

Les soldats sur le terrain n'avaient pas la même compréhension de la définition d'un détenu. Et le prisonnier au coeur de l'incident de 2006 n'était pas, selon eux, un détenu. Ils n'ont donc pas cru bon de relater l'information dans leurs rapports.

La commission d'enquête ne fait par ailleurs pas de recommandations, expliquant que l'armée a tiré des leçons depuis 2006, qui «ont été mises à profit pour améliorer considérablement les formulaires et les rapports sur les détenus».

La commission, qui a rédigé son rapport à la suite de la consultation de 30 témoins et de plus de 500 pages de documents, a toutefois été privée d'un mois de documentation entourant l'incident. Les enquêteurs n'ont pu retracer «un certain nombre de dossiers du Journal de guerre, (...) d'échanges téléphoniques, radio et de courriels» de la période s'échelonnant du 13 mai au 17 juin 2006.

«Pour cette raison, la Commission est très préoccupée quant à l'exhaustivité et à l'exactitude de ses constations», reconnaît le rapport.

Un fait important qui mine la crédibilité du document, selon Jack Harris.

«On dirait les enregistrements de Nixon, les passages manquants de ces enregistrements. Parfois les parties manquantes sont les plus importantes», a-t-il plaidé.

Le rapport détaille également que certains témoins «ne conservent que de vagues souvenirs», tandis que d'autres «n'ont même aucun souvenir de cet incident».