La torture est courante dans les prisons afghanes, certes, mais pas pour les détenus transférés par le Canada. Tel est le message, en substance, que sont venus livrer, hier, trois ex-ambassadeurs du Canada en Afghanistan devant le comité parlementaire qui se penche sur l'épineux dossier des détenus afghans.

«Depuis de nombreuses années, nous avons des rapports qui indiquent que le risque de torture est élevé dans les centres de détention afghans», a souligné l'ex-ambassadeur David Sproule, en poste d'octobre 2005 à avril 2007. «Cependant, nous étions confiants, selon les informations dont nous disposions, qu'aucun détenu transféré par le Canada n'avait été maltraité», a-t-il ajouté.

 

Loin de prétendre, comme d'autres témoins du gouvernement l'ont fait, que Richard Colvin était isolé et que ses signaux d'alarme sur le sort des prisonniers afghans étaient peu crédibles, voire «ridicules», M. Sproule et ses successeurs ont affirmé que les rapports du diplomate ont grandement contribué à la mise en place d'une nouvelle entente de transfert des détenus, adoptée en 2007.

M. Colvin a mis le feu aux poudres, en novembre dernier, en affirmant devant ce même comité que le gouvernement savait que les détenus qu'il transférait risquaient d'être torturés dans les prisons afghanes, ce qui est contraire aux obligations internationales du Canada.

Censure

Après avoir subi les foudres du gouvernement pendant des mois, le diplomate a détaillé sa version des faits, la semaine dernière, dans un témoignage de six heures devant la Commission d'examen des plaintes contre la police militaire, accusant des hauts dirigeants du gouvernement de l'avoir censuré.

Celui qui, selon Richard Colvin, a instauré la loi du silence pour les diplomates canadiens en Afghanistan, Arif Lalani, est d'ailleurs venu confirmer, hier, avoir demandé à son subalterne, en avril 2007, d'effacer certains passages d'un rapport faisant état d'allégations de torture des détenus transférés.

«En tant qu'ambassadeur, si un document arrive sur mon bureau, je vais le couper, le modifier, pour qu'il soit plus clair, a dit l'ex-ambassadeur Lalani, hier. C'est une procédure standard, et c'est tout simplement ce qui s'est passé dans ce cas-là.»

Du bout des lèvres, M. Lalani a aussi admis que, selon la nouvelle entente de transfert que le gouvernement vante sans cesse, les enquêtes sur les allégations de torture dans les prisons sont confiées à la Direction nationale de la sécurité afghane (NDS)... la même qu'on soupçonne d'être responsable des mauvais traitements.

«Ils disent qu'ils ont tout fait. Mais quand il y avait des allégations, la seule enquête qu'ils faisaient, c'était de demander à la NDS de faire enquête sur elle-même, a déploré le député libéral Ujjal Dosanjh. La question est de savoir si le Canada a rempli ses obligations internationales. Les ambassadeurs ont tous répondu oui. Mais ils ont en même temps soulevé des questions qui remettent cette réponse en question.»

Loin de calmer les critiques de l'opposition, le témoignage des trois anciens ambassadeurs - dont Ron Hoffmann, en poste en Afghanistan de 2007 à 2009 - est venu jeter de l'huile sur le feu.

«Ce sont ceux qu'on accuse de pratiquer la torture qui enquêtent sur eux-mêmes, alors c'est facile de comprendre pourquoi il n'y a pas de preuve de torture, a fustigé le député néo-démocrate Paul Dewar. Est-ce que le Canada peut avoir confiance dans ce processus? Je ne pense pas.»

Les députés de l'opposition peinent à croire que les ambassadeurs aient eu «l'assurance» que les détenus transférés par le Canada n'ont pas été torturés, alors que même M. Lalani a convenu qu'il y avait des «lacunes» dans le processus de transfert.

«C'est dur à croire. Mais je comprends comment ils en arrivent à cette conclusion, a dit M. Dewar. Si on n'a pas de processus efficace pour faire le suivi de nos détenus, on ne saura jamais, on n'aura jamais de preuve. On ne trouve pas ce qu'on ne cherche pas.»

Même son de cloche chez les libéraux. «Ils disent qu'il y a un risqué élevé de torture de détenus. Mais il n'y a pas de protection spéciale pour les détenus du Canada dans les prisons, a rétorqué M. Dosanjh. Il n'y a pas de cellules spéciales ou d'interrogateurs différents. Ce sont les mêmes gens. S'ils torturent les détenus britanniques, ils torturent les détenus canadiens aussi. Ce genre de logique ne tient pas la route.»