Pour la deuxième fois en une semaine, le gouvernement a déposé jeudi, dès l'ouverture des travaux parlementaires, une cargaison de 6200 pages de documents sur les détenus afghans. Mais ce dépôt-surprise n'aura pas réussi à détourner l'attention de l'opposition quant aux dernières révélations dans ce dossier.

Libéraux, bloquistes et néo-démocrates tentent, depuis des mois, de faire la lumière sur le traitement de détenus transférés par l'armée canadienne aux autorités afghanes. Des témoins, venus comparaître devant un comité parlementaire qui se penche sur la mission afghane, ont allégué que plusieurs d'entre eux auraient été torturés.

Pas plus tard que mercredi, c'était au tour d'un ancien conseiller politique de l'équipe provinciale de reconstruction de Kandahar, Cory Anderson, d'affirmer au comité qu'il avait averti plusieurs fois le ministre de la Défense, Peter MacKay, de ses inquiétudes quant à la gestion et la sécurité des prisonniers, entre 2007 et 2009. Car le traitement des détenus afghans était susceptible de se transformer en «mission killer», aurait alors fait valoir M. Anderson au ministre.

Ce que l'opposition n'a pas manqué de soulever, à la période des questions aux Communes. Mais le ministre MacKay est resté bien assis sur sa chaise, évitant ainsi de répondre aux questions qui lui ont été lancées, mis à part la toute dernière.

M. MacKay n'a cependant pas répliqué aux allégations de M. Anderson, citant uniquement la partie de son témoignage qui reconnaissait les améliorations apportées à l'entente de transfert de prisonniers.

«Nous devons commencer à avoir de l'imputabilité ici. Nous devons avoir un gouvernement qui, lorsqu'il se fait ordonner de fournir des documents, fournit des documents; lorsque des ministres se font poser des questions sur leur responsabilités, est-ce qu'on peut voir le ministre visé se lever?», a déploré le néo-démocrate, Paul Dewar, à sa sortie des Communes. Les trois premières questions adressées au ministre MacKay ont été accueillies par le secrétaire d'Etat aux affaires étrangères, Peter Kent.

Les députés d'opposition ont été confrontés, depuis le début de leur bataille pour faire la lumière sur le traitement des prisonniers afghans, à des copies hautement censurées des documents qu'ils réclament pour faire enquête.

Tout comme jeudi dernier, le secrétaire parlementaire du leader du gouvernement aux Communes, Tom Lukiwski, a remis des milliers de pages de documents, cette fois-ci dans les deux langues officielles, mais tout autant censurées. Dans le dépôt de la semaine dernière, certaines des 2500 pages étaient complètement noircies.

«Naturellement, ils donnent des documents le jour avant (les vacances de) Pâques et on ne sera pas là (aux Communes) pour encore 10 jours. Donc c'est clairement un effort pour contrôler les choses un peu», a critiqué le porte-parole libéral en matière d'affaires étrangères, Bob Rae.

Au bureau du premier ministre, on explique que le gouvernement fournit simplement, comme promis, les documents qui peuvent être rendus disponibles sans contrevenir à la sécurité nationale.

Mais selon le Nouveau Parti démocratique (NPD), il s'agirait plutôt, en grande partie, de documents déjà rendus publics dans le cadre d'une poursuite d'Amnistie Internationale ou de l'enquête de la Commission d'examen des plaintes de la police militaire.

L'opposition tente présentement de forcer la main des conservateurs, afin d'obtenir des copies intégrales des documents espérés. Les trois partis menacent même trois ministres de les accuser d'outrage au Parlement, car ils estiment que leurs privilèges parlementaires n'ont pas été respectés puisqu'on leur refuse l'accès aux dossiers.

«On voit qu'ils ont recours à tous les stratagèmes possibles pour nous mettre des écueils, retarder l'échéance. Puis nous on pense que là, ça commence à frôler la frivolité», a estimé le critique bloquiste en matière de défense, Claude Bachand.

Mercredi, le ministre de la Justice, Rob Nicholson, a répliqué aux menaces de l'opposition en plaidant qu'il devait protéger la sécurité nationale et que les parlementaires n'avaient pas l'autorité requise pour exiger un accès complet à des versions non censurées de documents.

L'opposition espère maintenant que le président de la Chambre, Peter Miliken, rendra sa décision le plus rapidement possible. M. Miliken devra trancher pour déterminer si les droits des parlementaires de consulter les documents ont préséance sur les pouvoirs du gouvernement de les cacher.

Le NPD et le Parti libéral ont cependant demandé à M. Miliken de leur accorder du temps de parole en Chambre pour répondre à leur tour au ministre Nicholson au retour des vacances de Pâques, ce qui veut dire que la décision finale devra encore se faire attendre au moins 10 jours, puisque les travaux parlementaires font relâche la semaine prochaine.