L'ensemble de la classe politique à Ottawa a dénoncé, mercredi, la volonté du président afghan Hamid Karzaï de faire main basse sur la Commission des plaintes électorales, à peine six mois après un scrutin présidentiel entaché de fraudes multiples.

Dans un décret signé au moment où le Parlement afghan ne siégeait pas, le président Karzaï a approuvé un amendement à la loi électorale qui lui permet de désigner lui-même les cinq membres de la Commission des plaintes électorales, où les Nations unies nommaient trois membres auparavant.

C'est cette commission qui avait révélé des fraudes massives aux élections présidentielles d'août 2009. Déclaré vainqueur après le retrait de son principal adversaire, Hamid Karzaï avait lui-même reconnu que certains problèmes avaient entaché le scrutin.

À Ottawa, le ministre des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, craint que ce décret réduise considérablement l'indépendance de la Commission des plaintes électorales. «Une Commission forte et indépendante revêt une importance cruciale pour l'avenir de la démocratie en Afghanistan, de sorte que toute tentative pour affaiblir cette instance suscite des préoccupations», a-t-il indiqué dans un communiqué.

Le ministre Cannon tentera de faire part de ses inquiétudes à son homologue afghan, Zalmaï Rassoul, et entend discuter de la question avec les pays alliés dans la cause de l'Afghanistan.

À la conférence de Londres, au mois de janvier, la communauté internationale et le gouvernement afghan s'étaient entendus sur la nécessité de réformer le système électoral avant les élections législatives, prévues pour le mois de septembre 2010.

De passage à la base militaire de Valcartier, dans la région de Québec, le ministre de la Défense nationale, Peter MacKay, s'est lui aussi dit préoccupé. «J'espère que ce n'est pas une indication que le gouvernement afghan recule sur ses engagements en faveur de la démocratie et sur son adhésion aux principes démocratiques pour l'avenir», a-t-il dit en conférence de presse.

Les partis de l'opposition à Ottawa ont aussi jugé que la décision du président Karzaï soulève des questions sur la transparence des scrutins futurs.

«On ne peut accepter cette décision, a dit Gilles Duceppe. Il faudra le faire savoir au président Karzaï de façon très claire et remettre en question sa légitimité dans la mesure où il ne veut pas la rendre claire.»

Selon le député libéral Bob Rae, le gouvernement canadien n'est malheureusement pas bien placé pour faire la leçon aux autres : «Il y a une certaine ironie de voir un gouvernement comme le nôtre, qui veut imposer sa volonté politique partout, dans toutes les commissions possibles, réagir comme ça au problème en Afghanistan.»

Le porte-parole du NPD en matière d'affaires étrangères, Paul Dewar, croit lui aussi que la crédibilité du Canada est affaiblie, en raison notamment de la crise qui sévit à l'organisme Droits et Démocratie : «Le ministre a un problème de crédibilité dans le dossier du développement démocratique, soutient-il. Notre institution qui fait la promotion de la démocratie et des droits de la personne en Afghanistan est tellement en crise que la directrice de la Commission indépendante des droits de la personne en Afghanistan, Sima Samar, qui faisait partie du conseil d'administration, a décidé de partir en raison de l'ingérence du gouvernement de M. Cannon.»

- Avec l'Agence France-Presse