Afin de «clarifier» les faits et de rétablir sa réputation, le diplomate Richard Colvin réfute méthodiquement, dans une lettre envoyée mercredi, les arguments du gouvernement conservateur et d'autres témoins entendus par le comité parlementaire sur l'Afghanistan, chargé de faire la lumière sur le sort réservé aux prisonniers remis par le Canada aux autorités afghanes.

Un mois après avoir rendu devant le comité un témoignage incendiaire, qui avait soulevé une controverse qui ne fait que s'amplifier depuis, il écrit: «Certaines des preuves (amenées par les autres témoins) étaient, en tout respect, erronées ou incomplètes.»

Point par point, le diplomate réfute les déclarations des témoins qui sont venus contredire et discréditer sa version des faits, y compris les propos du ministre de la Défense nationale, Peter MacKay.

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M. Colvin cite notamment de multiples rapports rédigés par des responsables canadiens, mais aussi par des Américains et par l'ONU, qui font état des risques de torture. Il évoque également des rencontres avec des décideurs politiques dès 2006. «Toute cette information n'a eu visiblement aucun impact sur les pratiques canadiennes en matière de transfert des détenus», soutient l'ancien numéro 2 du Canada en Afghanistan, maintenant en poste à l'ambassade canadienne à Washington.

Or, le gouvernement clame qu'il a agi dès qu'il a été mis au courant des risques de torture, soit en novembre 2007. Richard Colvin affirme, dans sa lettre de 16 pages adressée aux membres du comité, qu'Ottawa a mis cinq mois, après avoir signé une nouvelle entente pour le transfert des détenus, avant d'envoyer un représentant gouvernemental pour appliquer le nouveau protocole.

Selon lui, il existait trois voies pour remettre les prisonniers aux autorités afghanes sans passer par les services secrets afghans à Kandahar, sachant que ceux-ci pratiquaient la torture couramment. Le Canada a refusé toutes les autres options, soutient-il.

Le jour même du témoignage de M. Colvin et dans les semaines qui ont suivi, les membres du gouvernement conservateur ont tout fait pour discréditer ses propos, selon lesquels le Canada s'est rendu complice de la torture de prisonniers en Afghanistan.

Au lendemain du boycottage par les députés conservateurs d'une réunion d'urgence du comité sur l'Afghanistan, ce qui a mis fin abruptement à ses travaux, la lettre de M. Colvin apparaît aux yeux de l'opposition comme une preuve supplémentaire que le gouvernement de Stephen Harper tente de cacher la vérité.

«M. Colvin réfute chacun des arguments du gouvernement, a souligné le critique du NPD en matière d'affaires étrangères, Paul Dewar. Ça démontre que ce gouvernement est davantage intéressé par la politique que par les principes.»

Les nouvelles preuves amenées par M. Colvin «relancent le débat», a estimé le député du Bloc québécois Claude Bachand.

«Si on regarde le comportement du gouvernement, y compris son absence au comité mardi, les preuves s'accumulent qu'on fait face à un camouflage», a-t-il dit.

Cette réponse de M. Colvin à la «campagne de désinformation faite contre lui» ajoute, selon l'opposition, à la nécessité de tenir une enquête publique sur la question.

Depuis le début de la controverse, le gouvernement Harper est accusé d'obstruction. Il a refusé de dévoiler les rapports de M. Colvin pour des raisons de sécurité, a mis fin aux travaux de la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire sur la question, paralysé le comité et rejeté les demandes d'enquête publique.

«M. Harper a voulu nier le problème et ça n'a pas marché. La tactique habituelle de tirer sur le messager a implosé, a estimé M. Dewar. Les conservateurs ont peur de la vérité et ne veulent pas rendre des comptes à la population et au Parlement.»

Selon le député libéral Ujjal Dosanjh, la réaction des conservateurs dans ce dossier est «contraire aux valeurs canadiennes». «Ils ne se soucient aucunement qu'on envoie des détenus à la torture. Aucun premier ministre dans l'histoire du Canada n'aurait accepté ça», a souligné M. Dosanjh.

L'opposition entend poursuivre les travaux du comité dans les prochaines semaines, avec ou sans les députés conservateurs.