L'entourage du ministre de la Défense, Peter MacKay, a été alerté dès le printemps 2006 des risques de torture de prisonniers transférés aux autorités afghanes, confirment de nouveaux documents rendus publics mercredi.

Des notes de service consultées par La Presse Canadienne indiquent que la Croix-Rouge internationale a rencontré des membres haut placés du gouvernement fédéral à Ottawa, Kandahar et Genève, à partir de juin 2006, pour les prévenir des risques de torture.Peter MacKay était à cette époque ministre des Affaires étrangères. Une porte-parole pour le Ministère a reconnu que la rencontre d'Ottawa avait bel et bien eu lieu, mais le directeur des communications de M. MacKay, Dan Dugas, a déclaré que son patron n'avait jamais été mis au courant de leur teneur.

Une quarantaine de notes de service hautement censurées de Richard Colvin ont aussi été rendues publiques mercredi. Richard Colvin est ce diplomate de haut rang qui a rendu un témoignage-choc il y a deux semaines dans un comité parlementaire spécial à Ottawa. Il a déclaré que durant son mandat à l'ambassade du Canada en Afghanistan, en 2006 et 2007, il a en vain et à plusieurs reprises tenté d'alerter ses supérieurs des risques importants de torture que couraient les prisonniers transférés par les militaires canadiens aux autorités afghanes.

Les partis de l'opposition et des groupes de défense des droits de la personne ont critiqué le fait que ces notes de service ont été rendues illisibles par le gouvernement. «Plusieurs de ces rapports sont complètement noircis, d'autres ont des sections complètes qui ont été censurées», a constaté Grace Pastine, directrice des litiges à l'Association des libertés civiles de Colombie-Britannique, qui a publié la brique de documents sur son site web, mercredi. À leurs yeux, cela démontre à nouveau l'importance d'une enquête publique dans le dossier.

Parmi les passages lisibles, cependant, on peut voir que, dès mai 2006, une note de service de Richard Colvin très critique à l'égard du système de transfert de détenus a été acheminée jusqu'au bureau du ministre des Affaires étrangères, à l'époque Peter MacKay. Cette note de service déplore le fait que l'information recueillie par les forces armées canadiennes soit inadéquate, car elles perdent les détenus de vue après les avoir transférés.

Le paquet de documents, remis mercredi aux députés siégeant au comité parlementaire spécial qui étudie la question, finit avec une note de service du mois d'octobre qui n'a peut-être jamais été envoyée par M. Colvin, mais qui contient des «observations de fin de mandat» en Afghanistan, et qui est aussi très critique à l'égard des changements apportés par Ottawa au protocole de transfert des détenus.

«Le Canada à mon avis n'a toujours pas réglé le problème central des détenus, qui est...» a écrit le diplomate. Le reste du paragraphe est complètement noirci.

Le gouvernement Harper n'a accepté de revoir son protocole de transfert de détenus qu'en mai 2007, après avoir été l'objet de pressions médiatiques, politiques et diplomatiques soutenues pendant plusieurs mois. Or, ces changements ont été faits sans tenir compte de la plupart des recommandations sur le terrain, déplore le diplomate.

Le porte-parole de Peter MacKay a déjà nié avoir personnellement reçu les notes de service de Richard Colvin. La semaine dernière, cependant, il a reconnu avoir été au courant, dès 2006, des «inquiétudes» exprimées par de nombreuses sources sur l'état des prisons afghanes.