En transférant des prisonniers aux services secrets afghans, le Canada s'est rendu complice d'un système de torture généralisé, et n'a rien fait pour corriger la situation malgré des signaux d'alarme répétés, a souligné mercredi le diplomate canadien Richard Colvin, dans un témoignage explosif en comité parlementaire spécial sur l'Afghanistan.

 

En poste en Afghanistan d'avril 2006 à octobre 2007, M. Colvin est venu expliquer ce qu'il avait écrit en octobre dans un affidavit devant servir à la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire, avant qu'elle ne soit suspendue, dans ce qui a été perçu comme une tentative d'Ottawa de museler le diplomate de carrière.

«Les informations dont on dispose, de plusieurs sources, nous indiquent que selon toute probabilité, tous les détenus que nous avons transférés ont été torturés», a dit M. Colvin, dans une salle de comité bondée comme jamais.

«Ce sont les procédures d'usage dans les interrogatoires à Kandahar», a-t-il ajouté. La privation de sommeil, les décharges électriques, les coups de bâton et même les abus sexuels étaient monnaie courante, selon lui.

Le diplomate, aujourd'hui en poste à Washington, prétend avoir fait état des allégations de torture des prisonniers transférés dans près de 20 rapports envoyés aux plus hautes autorités canadiennes, de Rick Hillier, alors chef d'état-major des Forces canadiennes, à David Mulroney, sous-ministre responsable de l'Afghanistan, et jusqu'au Conseil privé à Ottawa.

Or, Ottawa n'a rien fait pour que la situation change pendant l'année et demie pendant laquelle il était sur place, a-t-il déploré. M. Colvin a même affirmé avoir reçu des pressions pour ne plus discuter de la question par écrit, mais plutôt seulement par téléphone.

«La complicité du Canada dans la torture a amené certaines populations locales à se retourner contre nous, renforçant ainsi l'insurrection», a-t-il estimé, jugeant que les prisonniers interceptés par les Canadiens n'étaient pas «de haut calibre» et que certains ont très probablement été torturés alors qu'ils étaient innocents.

Les membres du gouvernement de Stephen Harper, dont les ministres Peter MacKay et Gordon O'Connor, ont toujours affirmé de pas avoir eu connaissance des allégations de torture et des rapports de M. Colvin.

Selon le spécialiste du renseignement, il serait peu probable, mais tout de même «possible», que le gouvernement n'ait pas été mis au parfum, compte tenu de la culture du secret dans les cercles militaires.

Le témoignage de plus d'une heure et demie a secoué les parlementaires.

Les membres du caucus conservateur membres du comité spécial sur l'Afghanistan ont tenté par tous les moyens de discréditer la version de M. Colvin, allant jusqu'à prétendre que la torture des prisonniers afghans n'avait jamais été prouvée. Pourtant, les transferts de prisonniers avaient justement cessé à la fin de l'année 2007 à la suite d'allégations de torture.

Le député d'Edmonton-Centre, Laurie Hawn, a reproché au diplomate ne pas avoir discuté de la situation des prisonniers avec les ministres du gouvernement lors de visites officielles. «Si c'était si important, vous en auriez parlé avec les autorités compétentes quand vous en avez eu la chance. Alors permettez-moi d'être sceptique», a souligné M. Hawn, acerbe.

M. Colvin n'a reçu que des informations concernant des allégations de torture «de seconde main», et de la part d'insurgés afghans «devenus des maîtres en stratégies de communication», a ajouté la députée conservatrice Cheryl Gallant.

Mais pour l'opposition, le témoignage de M. Colvin est incontestable.

Le comportement des conservateurs est «ignoble», a jugé le député libéral Ujjal Dosanjh. «C'était une stratégie pathétique d'essayer de discréditer un de nos meilleurs diplomates», a dit le député du NPD Paul Dewar.

«Je pense qu'on fait face à un énorme camouflage de la part du gouvernement», a pour sa part renchéri Claude Bachand, du Bloc québécois.

À l'issue de son témoignage, M. Colvin a refusé de répondre aux questions des journalistes. Son avocate a expliqué qu'il lui était interdit de parler aux médias. M. Colvin a dit en comité se trouver dans une position intenable. Le mois dernier, il était passible d'une peine d'emprisonnement s'il refusait de participer à la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire, mais aussi s'il y participait et révélait des informations pouvant nuire à la sécurité nationale.