Vingt-huit jours dans un trou humide gros comme un placard, avec pour seule compagnie un manuel d'anglais, une horloge, un carnet de notes - et un garde afghan présent à toute heure du jour et de la nuit.

C'est ce qu'a vécu la journaliste du réseau CBC Mellissa Fung après avoir été kidnappée dans un camp de réfugiés près de Kaboul, le 12 octobre dernier.

Lors d'une entrevue au réseau CBC, enregistrée en un lieu indéterminé, la jeune femme a relaté pour la première fois ces quatre semaines durant lesquelles elle a été coupée du monde, livrée à un réseau de kidnappeurs professionnels.

Les yeux cernés, le sourire timide, Mellissa Fung a parlé pendant 60 minutes avec l'intervieweuse Anna Maria Tremonti.

Il en ressort le portrait d'une femme dotée d'une grande force morale, capable de confronter ses ravisseurs et de se jouer d'eux à l'occasion. « Mais quelle sorte de kidnappeurs êtes-vous ! » leur a-t-elle lancé quand ils lui ont confié qu'ils ne pouvaient pas la filmer, faute de caméra.

«Ce n'est pas juste, vous pouvez appeler vos amis, et pas moi», s'est-elle plainte une autre fois quand, pris de lassitude, ses geôliers tuaient le temps au téléphone. Et les jeunes hommes qui la surveillaient ont accepté de mettre fin à leurs coups de fil !

Vers la fin de sa captivité, Mellissa Fung a prétendu être malade, espérant que cela accélérerait sa libération. Inquiet, son gardien a consulté des médecins et lui a apporté des médicaments. «Je ne les ai pas pris, de toute façon, ils étaient périmés.»

L'enlèvement

Mellissa Fung terminait une série d'entrevues à la sortie d'un camp de réfugiés quand deux hommes armés l'ont agrippée pour la propulser vers leur véhicule. Tout s'est passé très vite : elle a frappé un des ravisseurs qui a rétorqué en la poignardant à l'épaule. Elle a tout juste eu le temps de crier à son accompagnateur afghan de contacter un collègue à Kandahar avant de se retrouver couchée sur le plancher d'une voiture, retenue au sol par ses ravisseurs.

Au bout du trajet : un simple trou dans la terre, « pas plus grand qu'une chaise ». Jetée au fond de ce terrier, elle a découvert un tunnel débouchant sur une pièce minuscule, avec des murs de terre et un plafond de céramique. Ses ravisseurs ont recouvert son trou de branches. «Jamais on ne pourra me retrouver ici», a-t-elle alors pensé.

Les kidnappeurs, des frères âgés d'environ 18 et 20 ans, se relayaient pour la surveiller. À force de leur parler, elle a compris qu'ils n'étaient que les exécutants d'un réseau de kidnapping familial. C'est leur père, qui vit au Pakistan, qui a négocié sa libération.

«On ne va pas te tuer»

Les ravisseurs de Mellissa Fung ont prétendu être des talibans mais elle ne les a pas crus : ils n'étaient pas assez organisés pour ça. De leurs conversations, elle a conclu avoir été enlevée au hasard, les hommes l'ayant repérée sans être certains qu'elle était une étrangère. La même famille détenait alors deux autres otages, des Européens, qui ont ensuite été échangés contre de l'argent. La journaliste ne les a jamais rencontrés.

Ses geôliers lui ont dit qu'ils ne voulaient pas la tuer, et elle s'est accrochée pendant quatre longues semaines à cette promesse. Mentalement, pour elle, « mourir n'était pas une option envisageable. »

Les kidnappeurs ne l'ont jamais maltraitée. Ils ont soigné sa blessure à l'épaule et l'unique fois où Mellissa a pleuré, son gardien lui a pris la main en disant : « Don't cry, don't cry. »

Ils la nourrissaient aussi, mais sans luxe : du jus et des biscuits. Et ils n'ont pas hésité, vers la fin de sa détention, à la laisser seule et enchaînée au fond de son trou.

La journaliste a vécu quelques moments de terreur. Quand elle s'est retrouvée, les yeux bandés, dans l'auto des inconnus. Quand ceux-ci l'ont sortie de son trou et qu'elle ne savait pas ce qui l'attendait. Mais généralement, elle ne craignait pas pour sa vie. Ce qui l'a fait surtout souffrir, c'est le froid, l'humidité et le manque de sommeil. Et la pensée de l'inquiétude qu'elle causait à ses proches.

Elle a tenu le coup en écrivant des lettres et un journal. Ses ravisseurs ont confisqué tous ses écrits le jour de sa libération.

Surprise

Libérée samedi, Mellissa Fung a eu la surprise d'apprendre l'élection de Barack Obama. Autre surprise : elle n'en revenait pas que les médias n'aient rien publié à son sujet pendant sa captivité.

«J'étais sûre que les médias en parleraient, comme journaliste, j'aurais voulu rapporter ça. Mais je dois faire confiance aux experts qui croyaient que c'est ce qu'il fallait faire», a-t-elle dit, acceptant la règle du silence.

Ce qui reste de sa captivité ? Des images des visages des ravisseurs qui tournent encore dans sa tête. Des insomnies. Et un regret : celui de ne pas avoir pu terminer son reportage.