Exception faite de quelques mentions de l'enlèvement «d'une journaliste canadienne», qui ne nommaient pas Mellissa Fung, la presse internationale a unanimement respecté la demande du réseau CBC, qui n'a pas ménagé les moyens pour garder l'affaire secrète. De nombreux médias qui étaient au courant de la nouvelle l'ont gardée pour eux pendant tout un mois.

Mais ce choix a causé quelques maux de tête dans les rédactions, y compris à La Presse. «Nous étions très déchirés entre le droit du public à l'information et la protection de la sécurité de la journaliste ; c'est la décision la plus difficile que nous ayons eu à prendre cette année», confie le directeur de l'information de La Presse, Éric Trottier.

 

La Presse et le Globe and Mail ont d'ailleurs contacté le réseau CBC, vendredi, pour demander plus de détails sur les risques qu'une publication de la nouvelle ferait courir à l'otage. La Presse a choisi de réévaluer sa position en début de semaine, selon son éditeur adjoint, Philippe Cantin.

Un problème délicat

Alors, publier ou pas? «Le problème est délicat mais, à mon avis, il vaut mieux respecter la consigne du silence, qui s'est avérée bénéfique dans le passé», dit Vincent Brussels, de l'organisation Reporters sans frontières.

Ainsi, un journaliste de CBS, Richard Butler, a été libéré en Irak au printemps dernier, après 50 jours de captivité restée secrète.

Même le Comité de protection des journalistes, qui tient le compte des journalistes en danger sur la planète, a décidé de ne pas mentionner le cas de Mellissa Fung sur son site web. «En rendant l'enlèvement public, on hausse la valeur de l'otage. Dans le pire des cas, les otages kidnappés par de simples criminels sont mis aux enchères. La publicité met leur vie en danger», croit Joel Simon, directeur de cet organisme.

Mais il reconnaît que certaines questions demeurent. Selon lui, les médias ne devraient pas limiter le secret à leurs propres employés, mais à tout autre otage dont la vie serait en danger en cas de publication.

S'il y a quelqu'un qui a pris le temps de réfléchir à cette question, c'est bien Michel Lescroart, rédacteur en chef de P-Magazine, une revue belge dont la journaliste Joanie de Rijke a été enlevée il y a huit jours en Afghanistan.

Dans son premier coup de fil à la rédaction, elle a dit: «Dès qu'on publie une information à mon sujet, je suis morte», relate M. Lescroart, joint par La Presse vendredi.

Une source de revenus

Selon lui, l'Afghanistan est le théâtre de rivalités entre plusieurs groupes plus ou moins affiliés aux insurgés qui utilisent le kidnapping comme source de revenus. Tant que l'otage demeure une simple marchandise, sa vie n'est pas trop en danger. Les choses changent si les chefs talibans ont vent de l'enlèvement. L'otage risque alors de se transformer en «outil de propagande», et tous les dérapages deviennent possibles, croit-il.

«Nous avions des pressions dès lundi pour publier la nouvelle, raconte M. Lescroart. Mais je ne voyais pas de raison de mettre la vie de Joanie en danger pour un scoop.» Joanie de Rijke a eu plus de chance que Mellissa Fung : elle a été libérée vendredi, après seulement six jours de captivité.