En dépit des 97 soldats canadiens tombés en Afghanistan jusqu'à présent, les recrues ne manquent pas. L'année dernière, les objectifs des Forces canadiennes ont été atteints à 97%. Ils sont jeunes, ils ont souvent un parcours scolaire chaotique et ils viennent chercher dans les Forces canadiennes aventure et argent. Par témérité ou inconscience, ils n'ont pas peur des dangers qui les attendent, convaincus de se joindre à une «armée de paix».

Comme tous les jours de semaine, la foule est dense au coin des rues Bishop et Sainte-Catherine, à deux pas de l'Université Concordia et des boutiques d'iPod et de vêtements branchés.

Coiffé d'une casquette à l'envers, larges lunettes noires et pantalon flottant, Sébastien, 18 ans, jette un oeil distrait à la pancarte «centre de recrutement». À l'intérieur, cinq jeunes hommes patientent, le regard fixé sur un large écran de télévision qui diffuse les nouvelles de l'armée. Deux soldats, l'un anglophone, l'autre francophone, présentent des reportages sur la vie, apparemment assez ludique, que l'on mène dans les bases militaires.

Malgré ses allures de rappeur, c'est dans l'armée que Sébastien veut faire carrière: «Je veux juste protéger mon pays. Qu'il n'arrive rien ici.»

Mais après avoir rencontré un agent recruteur, Sébastien a l'air un brin déçu: «Il faut que je recommence tout mon secondaire pour m'enrôler.» L'armée attend de ses recrues qu'elles aient réussi leur troisième secondaire. Ce qui n'est pas le cas de Sébastien.

Un homme du rang gagnera ainsi 30 000 $ la première année, 36 000 $ l'année suivante et 42 000 $ au bout de trois ans. «C'est rare, les jobs bien payées qui te prennent à partir du secondaire», dit Kévin, un grand gaillard qui n'a pas achevé sa cinquième secondaire. «J'attendais d'avoir 18 ans (l'âge minimum) pour m'engager», dit-il timidement.

Il fera partie du corps qu'on envoie en première ligne, le plus touché par les attaques des talibans. Comme ses copains, qu'il a suivis dans le processus, Kévin admet qu'il a «un peu peur». Mais pas suffisamment pour renoncer à l'armée.

«Il y a eu une centaine de morts en Afghanistan, sur combien de soldats envoyés en tout ? Si on était à 500 morts, j'y penserais plus...» dit Vincent, 19 ans, également désireux d'intégrer les rangs de l'infanterie. «Le risque ne me fait pas peur. Il arrivera ce qui arrivera.»

«Goût de l'aventure»

À 19 ans, avec son diplôme de cinquième secondaire, l'armée lui apparaît comme l'unique solution pour satisfaire son «goût de l'aventure». Et ce ne sont pas ses parents qui vont le dissuader: «Ils m'encouragent, ils veulent que je trouve une job au plus vite!»

Ce sont les annonces vidéo qui ont donné envie à Vincent de s'enrôler. Images en noir et blanc et ambiance de fin du monde, ces publicités diffusées à la télévision et au cinéma ont quelque chose d'hollywoodien. À commencer par leur budget: 16 millions de dollars rien qu'en promotion en 2007.

Cela fonctionne puisque 6716 personnes ont été recrutées pour 2007-2008, tout près de l'objectif de 6800. Le funeste décompte des soldats tombés en Afghanistan n'aura donc pas freiné les candidats.

«On ne pense pas à ça. On pense à l'avenir et au fait d'avoir un travail fixe d'où on ne pourra pas être mis à la porte comme ça», dit Jonathan, venu se renseigner avec sa copine.

Étonnement

«On n'a pas vu de diminution de quoi que ce soit, c'est vraiment surprenant», dit le sergent Planty. Son collègue, le second lieutenant Abergel, admet que les candidats qui se renseignent sur l'éventualité d'être envoyés en Afghanistan sont nombreux. «Certains s'informent parce qu'ils ne veulent pas y aller, alors que d'autres, c'est justement parce qu'ils veulent y aller.»

Les candidats retenus devront attendre de trois à six mois avant d'entamer leur formation militaire. Le temps de bien réfléchir à leur choix. C'est ce qu'a fait Andrée-Anne, une Montréalaise de 19 ans que La Presse a rencontrée à la sortie de sa cérémonie d'enrôlement. Hymne canadien et décorum, l'instant se voulait solennel, car les 15 nouvelles recrues venaient de signer leur contrat avec l'armée.

«Au terme de ma formation, j'aurai la croix rouge sur le bras», mime Andrée-Anne pour illustrer son futur emploi d'infirmière en soins d'urgence. «Je suis quelqu'un de vraiment sportif, je n'aurais pas été capable de rester enfermée dans un hôpital toute la journée.»

Quand on lui fait remarquer qu'elle peut tout de même être envoyée sur le champ de bataille, elle répond en rigolant que «ce n'est pas dangereux».

Et les 97 soldats canadiens tombés en Afghanistan? Silence. «Sur le nombre, ce n'est pas beaucoup.» Puis Andrée-Anne ajoute: «Quand j'aurai fini ma formation, en 2011, le Canada devrait être en train de se retirer...»