La mission canadienne en Afghanistan a été propulsée à l'avant-scène de la campagne électorale hier, après qu'il eut été révélé que ses coûts totaux pourraient atteindre 18,1 milliards de dollars lorsqu'elle prendra fin, en février 2011.

La présence des quelque 2500 soldats canadiens dans ce pays pendant une décennie entière revient donc à quelque 1500$ par foyer canadien, selon les estimations du directeur parlementaire du budget, Kevin Page, qui a rendu hier son rapport sur l'impact financier de cette mission controversée.

 

Ces coûts dépassent de loin ce que le gouvernement conservateur avait prévu, soit environ un milliard de dollars par année, ou 10 milliards au total.

Le NPD, qui réclame le retrait des soldats canadiens dans un délai de six mois, et le Bloc québécois ont accusé les conservateurs d'avoir camouflé les vrais coûts de cette mission aux Canadiens. Le Parti libéral, qui a déployé les soldats en Afghanistan en 2001, a exigé plus de transparence de la part du gouvernement. Le chef conservateur, Stephen Harper, a pour sa part affirmé que le Canada devait respecter ses engagements internationaux malgré les coûts importants.

Jusqu'ici, le séjour des troupes canadiennes a coûté entre 7,7 et 10,5 milliards. Si le gouvernement canadien décide de maintenir comme prévu ses 2500 soldats jusqu'en 2011, l'effort financier du Canada oscillera entre 13,9 et 18,1 milliards, selon Kevin Page.

Cette somme comprend les coûts des opérations militaires (70% du budget), l'aide au développement et la reconstruction (10% du budget) et les prestations aux anciens combattants (20%).

En conférence de presse, hier, M. Page a affirmé avoir été contraint de produire une estimation des coûts selon une méthodologie utilisée par d'autres pays comme les États-Unis, l'Australie et la Grande-Bretagne, parce qu'il n'a pu obtenir toutes les informations des ministères concernés, notamment le ministère de la Défense.

Il a ainsi été impossible d'obtenir le nombre de réservistes déployés dans ce pays ravagé par des années de guerre, ou les dépenses annuelles reliées aux projets réalisés par l'Agence canadienne de développement international.

Résultat: les coûts totaux pourraient bien être plus élevés, selon M. Page, qui a entrepris d'évaluer les coûts de cette mission en juin à la demande du député du NPD Paul Dewar. «À ce jour, le bureau du directeur parlementaire du budget n'a reçu aucune donnée financière précise des ministères visés qui lui permettrait de déterminer, d'un point de vue fiscal, les coûts marginaux. (...) Les renseignements incomplets et les anomalies au niveau des données financières (...) empêchent le Parlement d'effectuer une surveillance efficace de l'intendance», écrit M. Page dans son rapport.

Pas question de reculer

À Richmond, en Colombie-Britannique, le chef conservateur Stephen Harper a reconnu que la mission coûte cher. Mais peu importe le coût, il n'est pas question de reculer et de manquer aux engagements internationaux du Canada en Afghanistan. «C'est clairement une mission chère», a reconnu M. Harper.

En fin de campagne électorale, alors que les conservateurs se démènent pour garder la tête hors de l'eau, le rapport de Kevin Page est venu déranger les plans de Stephen Harper.

Le chef conservateur ne s'est pas défendu des coûts élevés de la mission, bien au contraire. Il a même réitéré que le Canada était là pour de bonnes raisons, en particulier la lutte contre le terrorisme islamiste. Il a rappelé que les coûts de la mission étaient déjà prévus dans le budget et qu'il était impossible à l'heure actuelle de faire marche arrière, «en tout cas immédiatement», a-t-il dit.

Il a rappelé également que ces fonds avaient été approuvés par les autres partis politiques lors de votes au Parlement et que la majorité des députés aux Communes appuyaient «l'idée que nous devons entraîner l'armée afghane pour protéger la population afghane».

Manque de transparence

Les reproches de M. Page visent autant les libéraux, qui ont décidé de déployer des soldats à Kaboul en 2001 et de les transférer ensuite à Kandahar en 2005, la province la plus dangereuse de l'Afghanistan. À Halifax, le chef libéral Stéphane Dion, qui a appuyé la prolongation de la mission canadienne jusqu'en 2011, a affirmé qu'un gouvernement libéral ferait preuve de plus de transparence. «Les Canadiens ont droit à cette information et on l'aura avec moi», a-t-il dit.

Pour sa part, le chef du NPD, Jack Layton, qui réclame le retrait des troupes dans un délai de six mois, a dénoncé l'explosion des coûts de la mission et le manque de transparence du gouvernement.

Faisant campagne à Sudbury, M. Layton a affirmé qu'il y voit une raison supplémentaire de «mettre à la porte» Stephen Harper. «Ils ont caché la vérité sur les coûts de la guerre. On ne peut accepter qu'un gouvernement puisse faire ça. On ne peut pas avoir confiance en M. Harper et à son équipe pour gérer cette situation. Ils n'ont pas été transparents là-dessus comme sur tellement d'autres dossiers.»

M. Layton a soutenu qu'au moins 5 milliards de la somme engloutie dans cette mission auraient pu servir à répondre aux besoins des familles. Il a aussi blâmé les libéraux de Stéphane Dion pour avoir appuyé la prolongation de la mission.

Le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, quant à lui, a accusé le gouvernement Harper de faire preuve de malhonnêteté en ne donnant pas un portrait juste de l'effort militaire en Afghanistan. «La transparence promise par M. Harper n'est certainement pas au rendez-vous, a dénoncé le chef du Bloc. En présentant des chiffres grossièrement erronés sur le coût de la mission en Afghanistan, Harper a certainement voulu induire la population en erreur.»

Gilles Duceppe est autant scandalisé par les coûts que par la répartition des dépenses. Le Bloc s'est déjà insurgé contre le fait que pour chaque dollar investi dans l'humanitaire, six finançaient les activités militaires. «Maintenant, on est à 10 dollars pour un», a-t-il dénoncé.

Avec Gilles Toupin, Hugo de Grandpré, Malorie Beauchemin et Martin Croteau

 

Les coûts de la mission

TOTAL À CE JOUR (Années financières 2001-2002 à 2007-2008)

Entre 7,7 et 10,5 milliards

COÛT PAR FAMILLE CANADIENNE (2001-2002 à 2010-2011)

Environ 1500$

COÛT TOTAL PROJETÉ (Années financières 2001-2002 à 2010-2011)

Au maximum 18,1 milliards (1)

COÛT DES OPÉRATIONS MILITAIRES De 2001-2002 à 2007-2008 :

entre 5,85 et 7,42 milliards

De 2008-2009 à 2010-2011 :

entre 5,06 et 5,73 milliards

COÛT DES PRESTATIONS AUX ANCIENS COMBATTANTS De 2001-2002 à 2007-2008 :

entre 0,84 et 2,08 milliards

De 2008-2009 à 2010-2011 :

entre 0,52 et 1,26 milliard

COÛT ANNUEL MOYEN PAR SOLDAT DÉPLOYÉ

Canadiens en Afghanistan : entre 421 996$ et 529 045$

Américains en Irak et en Afghanistan : 350 000$

COÛT ESTIMÉ DES DÉCÈS, INVALIDITÉS ET SOINS MÉDICAUX

Entre 2001-2002 et 2007-2008 : entre 838 millions et 2,1 milliards

Entre 2008-2009 et 2010-2011 : entre 520 millions et 1,25milliard

COÛT DE L'AIDE ÉTRANGÈRE DU CANADA

De 2001-2002 à 2010-2011 : 970 millions

De 2008-2009 à 2010-2011 : 680 millions

(1) Tous les coûts sont calculés sur une moyenne de 2500 militaires déployés entre 2008-2009 et 2010-2011.