Quand les bénévoles sont arrivés chez Aline Mailloux dimanche matin, elle a tout de suite sorti une petite caméra. La dame de 63 ans tenait à filmer la trentaine de bénévoles qui s'activaient autour de chez elle.

«C'est un jour heureux, je veux m'en souvenir longtemps», a-t-elle lancé, un trémolo dans la voix. Autour, des bénévoles ramassaient les centaines de sacs de sable qui, pendant près de deux mois, ont protégé sa maison de l'eau.

«On a vécu sur une autre planète pendant tellement longtemps. Les bénévoles nous font du bien. Mon mari a 71 ans et les sacs de sable, on ne pouvait pas les enlever. On n'en revient pas de voir tout ce monde-là!»

Durant tout le week-end, des bénévoles venus des quatre coins du Québec ont prêté main-forte aux sinistrés des pires inondations à frapper la vallée du Richelieu en 150 ans. Ils étaient 2000 samedi et 1100 dimanche à participer à la corvée. Maison par maison, ils ont tenté d'effacer les signes du sinistre: ils ont ramassé des milliers de sacs de sable et nettoyé des terrains ravagés dans une douzaine de municipalités au sud de Montréal.

«C'est un beau bilan pour la première fin de semaine», a conclu dimanche Michel Fecteau, président de l'organisme SOS Richelieu, qui a orchestré la Grande Corvée.

Ni SOS Richelieu ni le ministère de la Sécurité publique n'étaient en mesure de dire combien des 3000 résidences sinistrées avaient été visitées. Chose certaine, toutes celles qui n'étaient plus submergées ont reçu la visite des bénévoles, a précisé M. Fecteau.

«Les gens ont travaillé plus vite qu'on ne l'avait prévu, explique-t-il. Des bénévoles, ce n'est pas comme des employés, on ne sait pas quelle est leur capacité de travail. Ils nous ont agréablement surpris.»

La Grande Corvée bénévole va se répéter la semaine prochaine. Le président de SOS Richelieu, organisation citoyenne mise sur pied au début du mois de mai pour venir en aide aux sinistrés, estime que ce sera suffisant pour visiter toutes les maisons touchées.

Une réponse inespérée

Selon M. Fecteau, la Grande Corvée a permis de démontrer à quel point les Québécois sont solidaires. La réponse citoyenne a été «incroyable», juge-t-il. SOS Richelieu a même dû refuser des bénévoles samedi.

Aleem Sajan est l'un d'eux. L'homme de 31 ans a passé la matinée de dimanche à déplacer des poches de sable à Saint-Blaise-sur-Richelieu. «Je voulais être bénévole hier (samedi), mais c'était complet. Ça prouve que ç'a été un succès, note ce natif de la Tanzanie, qui habite Québec.

«Une opération citoyenne de cette ampleur, c'est une première, je pense, s'est félicité le coordonnateur de la Sécurité civile, Guy Laroche.

Même la pluie n'a pas entamé le moral des bénévoles. À Saint-Paul-de-l'Île-aux-Noix, une longue file de bénévoles s'activaient sous les averses. L'eau rebondissait sur les imperméables. Les bottes mordaient dans la boue. «Ils travaillent comme des fourmis», rigolait un sinistré, bien au sec sous un arbre.

«Nous, on est heureux d'être ici», raconte Évelyne Paquette, 35 ans, venue donner un coup de main avec son conjoint et sa mère. Elle s'était inscrite auprès de SOS Richelieu et avait fait garder ses deux enfants. «Nous habitons à Saint-Jean-sur-Richelieu. Les sinistrés, ils font partie de nos vies. On les voit tous les jours, à la pharmacie, à l'épicerie, au centre commercial, explique-t-elle. On ne peut pas les côtoyer sans les aider.»

Les citoyens rencontrés dimanche n'avaient que de bons mots pour les bénévoles. Certains en ont profité pour lancer quelques pointes à l'armée canadienne, qui n'a pas participé à la collecte des sacs de sable. Quelque 400 militaires sont toujours dans la région. La Presse n'en a croisé aucun dimanche dans les zones sinistrées.

«L'armée reconstruit des maisons en Afghanistan, mais ici, ils ne nous aident pas, déplore Pierre Normandin, 71 ans. C'est un manque de diligence. »

En attendant les compensations

Cette Grande Corvée était une manière pour bien des sinistrés de tourner la page. Mais la fin du chapitre viendra lorsqu'ils pourront toucher des compensations des gouvernements provincial et fédéral.

Des évaluateurs ont déjà commencé à visiter les maisons, a précisé dimanche le ministre de la Sécurité publique, Robert Dutil. L'ensemble des sinistrés recevra leur visite «dans des délais raisonnables», a promis M. Dutil, qui estime que les compensations pourraient coûter plus de 40 millions à l'État.

Certains sinistrés ont été durement touchés et leur maison pourrait être démolie. D'autres s'en tirent avec une demeure presque intacte. «Ça va être très varié. J'étais sur le terrain, je regardais les maisons, il y a des gens qui ont de petits dommages, jusqu'à ceux qui malheureusement vont perdre leur maison», a relaté le ministre Dutil.

À Saint-Blaise-sur-Richelieu, Linda Jasmin encadrait les bénévoles venus travailler sur son terrain. Elle était soulagée que son calvaire finisse enfin, mais appréhende les prochaines semaines. «Un évaluateur du gouvernement va venir la semaine prochaine. Ce qui m'embête, c'est la fondation. Est-elle correcte? On ne sait pas, a dit Mme Jasmin. On a mis 35 000$ de rénovations l'année dernière. Va-t-on être dédommagés?»

Dans la vallée du Richelieu, ils sont des milliers à se poser la même question.

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L'eau monte à Venise-en-Québec

L'eau avait monté dans quelques municipalités de la vallée du Richelieu, dimanche en début de soirée. Les vents et la pluie auraient fait grimper de 3 à 5 cm la ligne des eaux à Venise-en-Québec, notamment. Le ministère de la Sécurité publique s'est fait rassurant. «On s'attend à ce que ça se stabilise, puis que ça redescende, a expliqué Guy Laroche, coordonnateur de la Sécurité civile. Il faudrait des pluies considérables pour que ça continue à monter.»