Quand l'eau de la rivière Richelieu s'est mise à monter, il y a maintenant un mois et demi, des dizaines de familles habitant à la limite des municipalités de Noyan et d'Henryville ont été évacuées en toute hâte, parfois durant la nuit. Mercredi dernier, La Presse s'est rendue en kayak dans ce secteur. Visite dans un quartier aux airs de fins du monde.

Les maisons se succèdent. À côté de chaque poignée de porte, un petit collant rouge avec une inscription: «0». Aucun occupant. Le quartier situé à la frontière de Noyan et d'Henryville a été parmi les premiers évacués quand les inondations ont débuté, à la fin du mois d'avril. Les autorités ont visité chaque maison et se sont assurées que tout le monde était parti. Aujourd'hui, le secteur est désert.

L'eau est si haute dans les rues qu'il est difficile d'y marcher, même avec des cuissardes. Nous avons préféré y aller en kayak. À bord de nos embarcations, il est impossible de distinguer la rue de la rivière Richelieu. Tout est inondé. Le courant est fort et les vagues font valser nos kayaks. La rivière a visiblement agrandi son terrain de jeu.

Les bateaux à moteur ne peuvent plus circuler sur le Richelieu depuis le début des inondations. Et parce que les rues sont inondées, aucune voiture ne circule. Le silence n'est troublé que par le chant des oiseaux.

Des milliers de mannes sont posées partout. À tout moment, des carpes sautent hors de l'eau. Un colvert s'envole à quelques mètres de nos kayaks. Un héron nous regarde comme si nous étions des touristes. L'humain n'est plus maître, ici. La nature a pris le dessus.

Autour de plusieurs maisons, des sacs de sable sont empilés. Plusieurs sont éventrés. Les tuyaux reliés aux pompes qui éjectaient l'eau des maisons ne fonctionnent plus. Les propriétaires ont bien tenté de sauver leur demeure. Mais l'eau a gagné. Ils ont dû partir.

Les maisons se succèdent, et les scènes de désolation se ressemblent. Ici, une voiture remplie d'eau jusqu'au volant. Là, une tondeuse ne laisse voir que son guidon. Des poubelles encore pleines sont renversées dans l'eau un peu partout. Des vêtements sont suspendus aux cordes à linge. Les résidants ont dû partir rapidement.

Un peu plus loin, dans un terrain de camping, les roulottes sont à moitié submergées. Des quais flottent à l'abandon. Le petit parc pour enfants a l'air bien triste. La glissoire est presque entièrement sous l'eau. On ne voit plus que les chaînes des balançoires. Près d'un arbre, une pancarte: «Zone de baignade». Pour l'instant, cette zone s'étend partout.

On arrive à la rue Beaver, qui a aussi été évacuée. Sous l'eau, le gazon a maintenant l'apparence d'algues. On pagaie par-dessus des clôtures sans même le remarquer. On croise une maison. Sur la porte, on peut lire: «Surveillance par caméra». L'avertissement est surréaliste. Il n'y a plus personne ici.

À l'exception peut-être de cette citoyenne qui arrive au bout de la rue en chaloupe. Huguette Brazeau est surprise de nous voir ici. Elle a dû traverser les nombreux barrages policiers qui limitent la circulation dans le secteur et a pu obtenir la permission de venir chercher des effets chez elle.

Sa maison a été fortement endommagée par les eaux. «Le plancher a été inondé. Je vais devoir tout détruire. Je viens sortir toutes mes affaires. Ça va être long avant que je revienne ici», dit-elle.

En attendant, Mme Brazeau dort à l'hôtel, comme des centaines de sinistrés. En discutant avec elle, on comprend que la majorité des maisons du quartier sont des pertes totales et que plusieurs ne seront tout simplement pas reconstruites. Le quartier aujourd'hui désert risque de le rester longtemps.