Des portes de la Résidence du Havre à L'Isle-Verte, où ont péri 32 personnes âgées en janvier dernier, étaient verrouillées de l'intérieur, une embûche de plus pour l'évacuation des résidants paniqués, a-t-on relaté lundi aux audiences du coroner sur cette tragédie.

Des appels de détresse faits au 911 par la copropriétaire de la résidence, Irène Plante, sont éloquents à ce sujet.

"C'est urgent", peut-on entendre dire Mme Plante, la voix anxieuse, sur l'enregistrement de son premier appel aux services d'urgence.

"On ne voit rien, il y a plein de boucane", a-t-elle répondu lorsque la préposée du 911 lui demande si les résidants âgés ont été évacués.

Se faisant confirmer que les pompiers sont déjà en route, Mme Plante a répliqué: "Ils vont avoir besoin d'aide".

Un code plus urgent est alors lancé puisque la centrale a désormais en main des informations supplémentaires, soit que des personnes sont coincées à l'intérieur et qu'il s'agit d'un feu de structure.

Mme Plante a rappelé plus tard, les pompiers n'étant toujours pas sur place.

"Est-ce que l'aide est en route pour L'Isle-Verte? Il y a de la grosse boucane, personne ne peut sortir", dit-elle, paniquée.

Elle précise au téléphone que les pompiers doivent entrer par son logement _ qui fait partie de la Résidence du Havre, un bâtiment de 52 unités d'habitation _ car les autres portes sont barrées de l'intérieur.

Le premier camion de pompier est arrivé sur les lieux à 0 h 40, soit 18 minutes après le premier appel de la centrale d'urgence.

"Les portes sont barrées, ça n'ouvre pas!", a indiqué pour sa part le chef des pompiers, Yvan Charron, lors d'un appel à la préposée du 911, souhaitant notamment lui signaler cet obstacle additionnel, qui s'ajoutait à une nuit particulièrement glaciale, secouée par de forts vents.

Noémi Simard-Jean, de la centrale d'urgence privée, qui a fait état aux audiences des diverses étapes des appels d'urgence, a indiqué que la préposée en charge des appels ce soir-là ne pouvait décider par elle-même d'appeler des équipes additionnelles de pompiers. Selon l'entente, ce rôle revenait au chef des services incendies, Yvan Charron.

Celui-ci n'a appelé en renfort d'autres services incendie de la région qu'environ 20 minutes après le déclenchement de l'alarme. Les pompiers de Saint-Arsène sont arrivés sur les lieux une heure plus tard et ceux de Trois-Pistoles un peu après 2 h.

Les policiers qui ont défilé aux audiences ont relaté le chaos et l'horreur de l'évacuation.

Sans équipement de protection, ils sont entrés dans la fumée dense pour sortir les résidants, non sans difficultés. Ressortis avec des aînés dans leurs bras, ils se sont engouffrés à nouveau dans le bâtiment pour en sauver d'autres.

La plupart d'entre eux n'étaient pas autonomes ni mobiles, se déplaçant en chaises roulantes ou à l'aide de marchettes, a expliqué le policier Sébastien Briand.

"On a sorti les gens avec les moyens du bord", a-t-il relaté. Chaise de bureau à roulette, chaise berçante, tout a été utilisé pour sauver les résidants qui ne pouvaient marcher.

Une dame a été portée hors de l'édifice par quatre policiers qui la soulevaient avec un drap. La peau de l'avant-bras d'une autre femme âgée a été déchirée quand les policiers l'ont entraînée à l'extérieur. D'autres perchés sur le toit ou des balcons et qui refusaient de sauter se sont fait agripper, parfois rudement de l'aveu même des agents qui voulaient les amener loin du brasier. Pendant les opérations, le policier Briand a dit s'être enfargé sur le corps d'une femme au sol, déjà décédée.

Les pompiers n'avaient pas l'équipement nécessaire à leur arrivée sur les lieux. Le chef Charron a indiqué au policier Briand que les appareils respiratoires se trouvaient à Saint-Éloi, soit dans une autre municipalité, a rapporté ce dernier.

Selon tous les policiers, à leur arrivée, les opérations d'extinction du feu n'avaient pas débuté. Et aucune alarme ne se faisait entendre. Les policiers situent le foyer de l'incendie près de la salle à manger.

Les témoignages ont aussi laissé transparaître que les diverses agences gouvernementales semblent fonctionner en silo, sans se consulter ni partager de l'information. L'Agence de santé du Bas-Saint-Laurent ignore quand elle délivre un certificat d'exploitation si le bâtiment qui accueillera la résidence est conforme aux normes de sécurité incendie de la Régie du bâtiment, à moins d'un avis contraire, et ne sait pas quel type de clientèle habite dans une résidence donnée _ autonome ou semi-autonome. Quant à la Régie du bâtiment, elle déclare un édifice conforme en fonction du type de clientèle déclaré par le propriétaire _ plus de systèmes de protection sont requis quand les habitants ne sont pas capables de se déplacer par eux-mêmes _ mais ne vérifie pas qui y habite réellement.

Selon la représentante de la Régie du bâtiment, Lise Veilleux, il n'est pas permis d'avoir des portes verrouillées de l'intérieur pour une telle résidence. Et le premier pompier arrivé sur les lieux ignorait l'existence d'un outil pour débarrer les portes et si son camion en était muni, a-t-il admis lorsqu'il était interrogé par le coroner lui-même.

La semaine dernière, de nombreux témoins ont été entendus pendant trois jours aux audiences du coroner Cyrille Delâge. La formation des pompiers, l'organisation de leur travail et les délais d'intervention ont été remis en question.

Le rôle du coroner n'est pas de trouver des responsables mais plutôt de formuler des recommandations afin de s'assurer que pareil drame ne se reproduise pas.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENNE

Le coroner Cyrille Delâge (à droite).