Chaque fois qu'il donne un coup de pelle mécanique dans les vestiges noircis de la Résidence du Havre, Normand* pense aux corps de ses deux cousines qui gèlent quelque part sous les décombres.

«Il faut fermer la porte. On n'a pas le choix», dit l'opérateur de machinerie lourde qui, comme beaucoup de camionneurs, pompiers, techniciens et autres secouristes actuellement à pied d'oeuvre sur les lieux du drame, connaît personnellement des victimes dont les dépouilles attendent toujours d'être retrouvées.

Le travail est dur sur le site de la tragédie. Dur parce qu'il fait froid. Dur à cause du vent et du blizzard. Mais plus dur encore parce que ceux qui bûchent nuit et jour pour extirper les dépouilles, pour transporter les débris ou même pour ériger des clôtures autour du site craignent à tout moment de tomber sur les restes d'une personne qui leur était chère.

«On en voit, des corps, dit Michel*, un autre travailleur. Mais ils sont tellement abîmés que ça ne ressemble à rien.»

Le premier jour, raconte-t-il, les policiers leur ont montré à quoi ressemblaient des restes humains afin qu'ils puissent aviser les responsables lorsqu'ils en trouvaient.

«Hier, on a vu une tête qui dépassait. Sur le coup, ça ne m'a pas trop affecté. Mais rendu chez nous, quand j'ai vu des photos des disparus à la télé, ça m'a fait quelque chose. Je me suis demandé de qui j'avais vu le corps plus tôt.»

Évidemment, la plupart des visages lui sont familiers. Il n'a pas perdu de famille dans le brasier, mais certains de ses amis sont en deuil. «C'est sûr qu'on y pense. Mais en même temps, il faut faire notre travail.»

La situation n'est pas plus facile pour les pompiers volontaires de L'Isle-Verte, qui ont eu à intervenir à un moment ou à un autre près du squelette glacé de la résidence. Deux d'entre eux auraient même arrosé les flammes alors qu'un de leurs parents était mort à l'intérieur. Un des deux aurait été renvoyé chez lui pour vivre l'épreuve en famille.

«Le problème, c'est qu'ils tiennent à venir travailler coûte que coûte. Ils veulent aider. C'est important pour eux. Ils font partie de la communauté. Eux aussi sont en deuil et ils veulent que ça avance», confie un membre des équipes de secours.

À cause d'une directive venue «d'en haut», lui et ses collègues n'ont pas le droit de parler publiquement. «Les patrons ont peur à cause de l'enquête. C'est extrêmement contrôlé», dit-il.

Et comment se passe le travail? «Bien, dit-il. Mais c'est sûr que ce n'est pas évident pour tout le monde.»

Nombreux, d'ailleurs, sont ceux qui acceptent de partager leur quotidien sous le couvert de l'anonymat. «Il faut raconter ce qu'on vit. Ce n'est vraiment pas facile émotivement», dit un travailleur qui connaît lui aussi des victimes.

Hier, un technicien a eu du mal à marcher sur le site. «Le bois commence à ramollir. J'ai pensé aux gens en dessous. Je ne voulais pas leur piler dessus.»

Consciente que le défi psychologique est de taille pour tous ceux qui oeuvrent près des lieux de la catastrophe, la sécurité civile a mis sur pied une équipe d'intervenants qui est dédiée aux secouristes. «On est en contact avec leurs supérieurs et quand on voit que quelque chose ne fonctionne pas, on intervient. On s'assure qu'ils sont aptes à travailler», dit Pierre-Paul Malenfant, coordonnateur régional à la Sécurité civile et responsable des dossiers santé. Selon lui, personne n'a eu à être retiré de la zone rouge. Le travail est difficile, certes, mais il va bien. Les secouristes seront tous rencontrés dans le cadre de groupes de discussion.

*Noms fictifs