La crise d'Octobre 1970 aura servi à constituer une véritable cellule de lutte contre le crime organisé et à torpiller une enquête en cours, deux éléments collatéraux découlant des pouvoirs consentis aux forces de l'ordre afin de venir à bout du «terrorisme nationaliste», affirme un policier à la retraite dans un récent ouvrage.

Dans son livre Révélations d'un espion de la SQ, Claude Lavallée, des enquêtes spéciales de la Sûreté provinciale du Québec (devenue plus tard la Sûreté du Québec), lève le voile sur des enregistrements réalisés à l'époque.

Ces enregistrements mettaient en vedette divers personnages marquants de la mafia italienne, liés au clan Cotroni. Ces bandes électroniques avaient notamment constitué une preuve béton, à New York, lors du procès de Frank Cotroni et Frank Dasti, condamnés en janvier 1975.

M. Lavallée ne se doutait pas, en amorçant ses travaux au sein de l'escouade créée en 1963, qu'un climat de révolte sociale allait éclater dans un proche avenir, réglant d'une part les difficultés financières de l'unité mais écrasant au passage les efforts de cinq années de travail.

Parce que le policier avait, en cours d'écoute des bandes, colligé des informations sur de possibles liens entre le ministre libéral Pierre Laporte et la mafia. La mort du ministre, alors qu'il était détenu par des membres du Front de libération du Québec, aura servi de conclusion hâtive à cette enquête en cours.

Quarante ans plus tard, M. Lavallée estime que les travaux de l'escouade auraient pu avoir des répercussions majeures pour le politicien et le gouvernement libéral de l'époque. Mais les événements d'octobre 1970 sont venus chambouler la suite.

Astucieux, le policier a toutefois trouvé le moyen de «profiter» de la crise afin de donner plus de ressources à l'unité d'enquête contre le crime organisé.

Considérée à l'avant-garde par rapport aux autres corps policiers au Canada, l'escouade ne possédait pas, par contre, les moyens nécessaires à toutes ses activités.

Au fil des ans, elle a obtenu quelques effectifs supplémentaires, mais il manquait de ressources. Ainsi les policiers couraient des risques en effectuant leurs opérations, tournaient les coins ronds sur des questions d'éthique avec pour leitmotiv «la fin justifie les moyens», ce qui incluait des entrées sans mandat, de l'écoute et diverses autres méthodes clandestines.

Les budgets débloqués pendant la crise d'Octobre ont permis de bonifier les acquis, mais sans que ça ne fasse l'objet d'annonces officielles. L'État s'est en effet montré généreux et a ouvert ses goussets pour la lutte contre le «terrorisme nationaliste». Une partie des mandats d'écoute ont été confiés à l'escouade, qui en a profité pour garnir ses coffres d'outils.

«Je me suis servi de la crise d'Octobre et surtout des budgets. On a acheté des autos, un faux camion de Bell, des enregistreuses, mais en prétextant que je m'intéressais aux terroristes. Ce n'était pas le cas pantoute, mais ça faisait des années que j'attendais un budget», a raconté M. Lavallée en entrevue à La Presse Canadienne.

Alpiniste, plongeur et passé maître dans l'art de l'écoute électronique, Claude Lavallée s'est rapidement démarqué comme policier. Son audace et sa passion du métier ont sans doute contribué à faire en sorte qu'il soit identifié par ses supérieurs.

Son affectation initiale a eu lieu à Hull (aujourd'hui Gatineau). Il s'agissait en fait de la première mission d'écoute électronique de la SPQ. Le mandat confié consistait à écouter la ligne téléphonique de trois criminels qui avaient accepté de témoigner, pour la Couronne, dans une histoire de meurtre entre bandes rivales.

Les missions se sont raffinées et les moyens obtenus au cours de la crise d'Octobre 1970 ont pu faire avancer le savoir policier.

M. Lavallée a déclaré avoir toujours apprécié son travail et la part de risque qu'il a pris en exerçant son métier. Il doute par contre qu'il pourrait avoir autant de plaisir à l'exercer aujourd'hui. Il a cité diverses raisons d'entraves, tant légales qu'internes.

«Le Code criminel a doublé d'épaisseur et parfois l'état-major et le syndicat rappellent qu'il ne faut pas prendre trop d'initiatives. Dans le temps, j'ai fait des folies, des gaffes aussi. Aujourd'hui, on ne me tolèrerait pas plus d'une demi-heure dans les rangs d'un corps policier», a conclu, en riant, le policier à la retraite, qui a quitté les rangs en juin 1972.