Le ministre de la Sécurité publique, Robert Dutil, a déclaré mardi que des ajustements pourraient être nécessaires afin que la commission Charbonneau puisse réclamer les pouvoirs étendus que le premier ministre Jean Charest lui a offerts durant la fin de semaine.

M. Dutil ignorait encore si le gouvernement devra modifier le décret promulgué la semaine dernière pour mandater la commission.

Sans pouvoir préciser si la version actuelle permettrait à la juge France Charbonneau de formuler une demande, M. Dutil s'est appuyé sur une récente volte-face du premier ministre Jean Charest dans ce dossier.

Durant la fin de semaine, face aux critiques, M. Charest a jeté du lest à deux reprises en offrant d'abord à la juge Charbonneau le pouvoir de contraindre les témoins, si elle le demande.

Le premier ministre a finalement ajouté que la magistrate de lax Cour supérieure pourra aussi, si elle le réclame, obtenir que sa commission soit régie par la Loi sur les commissions d'enquête.

En se rendant à une réunion du caucus libéral, M. Dutil a reconnu que la déclaration de M. Charest est claire «sur le fond».

Le ministre a cependant reconnu qu'il reste à déterminer si des ajustements «sur la forme» doivent suivre.

«C'est la déclaration de M. Charest qui permet de le faire, a-t-il dit lors d'un point de presse. La forme qui suivra est à venir. Les formes commencent par le fond. Le fond, c'est que oui, on le permettra. La forme sera réglée en fonction de la déclaration de M. Charest.»

Les partis de l'opposition ont réclamé que le gouvernement modifie de lui-même son décret afin que la commission Charbonneau dispose de tous les pouvoirs prévus par la Loi sur les commissions d'enquête, qui prévoit le pouvoir de contraindre les témoins et d'obtenir des documents.

En Chambre, mardi, la chef péquiste Pauline Marois est revenue à la charge, accusant M. Charest de porter atteinte aux institutions en forçant la magistrate «à quémander» des pouvoirs plus étendus.

«En fait, c'est même une atteinte à la séparation des pouvoirs entre le judiciaire et l'exécutif, a-t-elle dit. D'ailleurs, le premier ministre est bien placé pour savoir qu'un politicien ne doit pas appeler un juge, et l'inverse est aussi vraie.»

En 1990, M. Charest a dû démissionner de son poste de ministre fédéral après avoir téléphoné directement à un juge.

Ripostant à Mme Marois, le premier ministre a rappelé que son gouvernement souhaite que le travail de la juge Charbonneau serve aux enquêtes policières.

«Nous voulons faire en sorte que la preuve soit protégée, nous voulons faire en sorte que nous puissions amener devant les tribunaux les accusés, déposer des actes d'accusation et nous allons procéder de manière à donner une totale indépendance à madame la juge Charbonneau», a-t-il dit.

Le ministre de la Justice, Jean-Marc Fournier, s'est lui aussi retrouvé dans le collimateur de l'opposition relativement à sa responsabilité des institutions judiciaires.

La députée péquiste Véronique Hivon, porte-parole en matière de justice, l'a accusé de cautionner les revirements de M. Charest dans ce dossier.

«Il devrait être celui dont on suit les avis et non pas celui qui est à la remorque des décisions improvisées du premier ministre», a-t-elle dit.

La Ligue Québécoise contre la francophobie canadienne a par ailleurs annoncé qu'elle a porté plainte mardi, auprès du Conseil de la magistrature du Québec, «pour atteinte à l'image et la qualité des juges et pour avoir hypothéqué la confiance du public envers les tribunaux».

Dans un communiqué, son porte-parole Gilles Rhéaume a dénoncé la juge Charbonneau parce qu'elle a accepté un accroc au principe de la séparation des pouvoirs.

«L'honorable juge Charbonneau, dont nous saluons la haute compétence et l'intégrité la plus absolue, s'est placée hélas en une situation de dépendance face au Conseil exécutif qui mine grandement la confiance du public envers la magistrature qui se doit d'être parfaitement indépendante du politique et ce, dans une étanchéité parfaite face aux autres pouvoirs publics», a-t-il dit.