Coup dur pour Jean Charest. Le Barreau du Québec, critiquant vertement la formule proposée cette semaine, lui demande de tenir une «véritable commission d'enquête publique» sur l'industrie de la construction. Il taille en pièces la formule que le premier ministre a retenue et l'accuse de «semer la confusion dans le public».

En soirée, vendredi, Jean Charest a accusé le coup et promis, devant les militants réunis en congrès, que le gouvernement accorderait plus de pouvoirs à la juge France Charbonneau si elle en faisait la demande. Après avoir amorcé ses travaux, tout en prenant garde de protéger la preuve réunie, elle pourra réclamer qu'on lui accorde le pouvoir de contraindre des témoins à se présenter devant elle, a annoncé le chef libéral.

Étrangement, quelques minutes plus tôt, son ministre de la Justice, Jean-Marc Fournier, avait pourtant paru fermer la porte à toute concession. Le Barreau, a-t-il rappelé, avait reconnu «qu'il y avait des risques» à ce qu'un «double agenda» apparaisse quand les enquêtes policières se tiennent en même temps qu'une enquête publique. «Quand on entend qu'il y a des risques, on choisit de tout faire pour aider les policiers et de ne rien faire qui risque de leur nuire», a soutenu M. Fournier.

Dans son avis percutant publié vendredi matin, le comité exécutif du Barreau, plus haute instance de l'ordre professionnel des avocats, a indiqué avoir décidé «de ne pas soutenir la commission d'enquête dans sa forme actuelle» lors d'une réunion, mercredi soir. Il a rendu publique sa position par voie de communiqué hier, jour même de l'ouverture du congrès du Parti libéral du Québec.

Selon le bâtonnier Louis Masson, la commission Charbonneau a des pouvoirs trop restreints pour faire toute la lumière sur la corruption et la collusion. Elle doit avoir les pouvoirs prévus à la Loi sur les commissions d'enquête afin d'atteindre son objectif. Bref, il faut une «véritable commission d'enquête publique», a-t-il expliqué en entrevue à La Presse.

«Vives inquiétudes»

Me Masson dit avoir de «vives inquiétudes» parce que la commission ne pourra accorder d'immunité ni contraindre quiconque à témoigner.

«Pour que les témoins n'aient pas peur de s'y présenter et de dire la vérité, il faut être en mesure de les contraindre à témoigner et la Loi sur les commissions d'enquête donne ce pouvoir aux commissaires et prévoit, en contrepartie, que si un témoin avoue un crime, il ne peut être incriminé par ce témoignage. Il peut cependant l'être à l'aide d'une autre preuve indépendante, comme celle rassemblée par les forces policières, par exemple», a expliqué le bâtonnier.

L'absence d'immunité tant pour les commissaires que pour les témoins «engendre un fort risque de poursuites inutiles». Et «les témoins seront réticents à participer à l'exercice», a-t-il ajouté. Comme La Presse l'a signalé hier, le président régional du PLQ pour l'Estrie, l'avocat Maxime Pridmore, a des réserves au sujet de la commission d'enquête qui portent précisément sur ce point.

Le Barreau du Québec démolit l'argument principal du gouvernement pour justifier sa formule. Il se dit en effet «en désaccord avec l'affirmation qu'une commission d'enquête avec le pouvoir d'obliger les gens à témoigner viendrait nécessairement contaminer les enquêtes policières».

«Cette affirmation sème la confusion dans le public. Il n'y a aucun cas où une commission d'enquête ait empêché les policiers de faire leur travail et de porter plainte par la suite», a dit Me Masson.

Selon lui, le gouvernement a ébranlé «la confiance du public dans nos institutions» avec la formule qu'il a retenue.