Insatisfaits de la commission d'enquête lancée par leur chef Jean Charest, des militants de longue date se préparent à déposer une proposition d'urgence en vue de lui donner «plus de mordant» au congrès du parti qui commence ce soir. Le militant Martin Drapeau, qui avait tenté en vain de provoquer un débat sur une enquête publique au conseil général de novembre, ira quant à lui jusqu'à demander un vote de confiance sur le leadership de M. Charest.

Des présidents régionaux du PLQ expriment ouvertement des réserves au sujet de la forme que prend la commission d'enquête annoncée mercredi, même s'ils appuient sa création.

Une source libérale sûre a confié à La Presse, hier, que des membres «d'expérience» se concertent en vue de forcer la main du gouvernement qui, selon eux, a donné des pouvoirs trop limités à la commission Charbonneau. «Il y a des démarches en ce moment pour présenter une proposition d'urgence. La question, c'est: vont-ils oser?», a affirmé cette source bien informée. Un congrès libéral est rarement le théâtre de manœuvres plongeant le gouvernement dans l'embarras.

Toujours selon cette source, «ce que le gouvernement a fait, c'est le pire des deux mondes. Il aurait mieux valu ne rien annoncer et continuer à miser sur les enquêtes policières.»

«On donne l'impression qu'on est déconnecté de la population, de ce qu'elle veut, a-t-elle ajouté. On donne l'impression qu'on a des choses à cacher alors que, selon moi, ce n'est pas le cas.»

Les militants libéraux de son entourage sont «très déçus» de l'annonce. La décision de priver la commission du pouvoir de contraindre quiconque à témoigner ne fait pas l'unanimité.

Mais d'après cette source, le vote de confiance qu'entend exiger Martin Drapeau risque de détourner le débat sur la commission d'enquête. «C'est la pire chose d'y aller de front. Les gens qui ont des critiques sur la commission d'enquête vont être mal à l'aise de s'exprimer. Ils ne veulent pas exécuter le chef. Quand il y a une guerre, les gens ont tendance à se ranger derrière le général...»

Drapeau n'a plus confiance en Charest

Militant depuis 30 ans, Martin Drapeau est toutefois déterminé à aller de l'avant. La «pseudo enquête» annoncée mercredi est la goutte qui fait déborder le vase. «Je n'ai plus confiance [dans le] premier ministre», a-t-il lancé. «Les règles du parti prévoient qu'il n'y a pas de vote de confiance au chef tant qu'il n'a pas perdu une élection. Je vais demander, s'il a tellement confiance en sa solution, qu'il se soumette à un vote des membres. Et je ne suis pas convaincu qu'il passerait!»

La solution de M. Charest «n'a pas de bon sens, on fait les choses à moitié et on ne les fait même pas comme il faut!», a-t-il déploré. Il compte bien soulever des questions à l'atelier prévu au congrès du PLQ, samedi matin, pour expliquer la stratégie du gouvernement.

Selon lui, «ceux qui ont des choses à se reprocher ne viendront pas devant la commission, c'est évident». Mais surtout, l'absence d'immunité pour les témoins aura des conséquences graves. «Si je n'ai rien à me reprocher, mais que je veux dénoncer des choses... si je vais devant la commission, je me retrouverai avec des poursuites», a-t-il souligné. Il est bien placé pour le savoir: ses questions au conseil municipal de Boisbriand lui avaient valu une poursuite-bâillon d'un entrepreneur local, un recours qui avait été repoussé par le tribunal par la suite.

Un président régional du PLQ s'inquiète lui aussi de cette absence d'immunité en vue de se protéger de poursuites civiles. «La commission d'enquête est un pas dans la bonne direction, mais j'ai des réserves», a affirmé Maxime Pridmore, de l'Estrie. Selon cet avocat, des témoins seront réticents à «s'exposer à des poursuites», à parler avec «une épée de Damoclès au-dessus de la tête».

Le président du PLQ dans le Bas-Saint-Laurent, Émilien Nadeau, exprime quant à lui un doute. «Je crois que la commission peut fonctionner, mais je ne peux l'affirmer avec certitude parce que ça n'a jamais été essayé avant, une commission comme celle-là. [...] Est-ce que la mesure est excellente ou pas? On verra après si cela a été excellent.»

Le président du PLQ pour Chaudière-Appalaches, Yvan Godbout, a coupé court à l'entrevue. «Je pense que M. Charest fait pour le mieux. Moi, j'ai toujours été d'accord avec lui. Et je ne veux pas de controverse.» Jean-Guy Légaré, de la région de Québec, a qualifié de «logique» et d' «éclairée» la décision du gouvernement.

«Un congrès palpitant!»

«Drapeau veut un vote de confiance? Oh mon Dieu! Ça va être un congrès palpitant!», a lancé de son côté Denis Piché, président pour Laval. Il a salué la mesure annoncée par Jean Charest même si à ses yeux «c'est bien évident que le voleur, peut-être, va sauter son tour» parce qu'il n'est pas contraint de témoigner. «Mais celui qui s'est fait voler va peut-être venir», a-t-il dit.

L'ancien président du PLQ et ancien député d'Orford, Robert Benoit, espère que des militants vont exprimer leur désaccord. Il l'aurait fait lui-même s'il avait pu participer au congrès. «Il faut se lever à un moment donné. Un congrès, ce n'est pas un party!», a-t-il lancé. Il n'était pas au courant de la préparation d'une proposition d'urgence.

Une certaine nervosité se manifeste au sein de l'état-major du PLQ en vue du congrès. Mercredi, peu de temps après la conférence de presse de Jean Charest, des dirigeants du parti ont organisé une conférence téléphonique avec des présidents d'association pour faire valoir le bien-fondé de la mesure annoncée. Les députés ont reçu le mot d'ordre de rencontrer les représentants de leur association de circonscription pour s'assurer de leur appui.