Le dirigeant de l'Unité permanente anticorruption (UPAC), Robert Lafrenière, a déclaré hier qu'une commission d'enquête publique sur la construction nuirait aux enquêtes policières.

M. Lafrenière a aussi profité de sa première conférence de presse depuis qu'il a été nommé chef de l'UPAC pour accuser Jacques Duchesneau d'avoir jeté le discrédit sur son organisation.

M. Duchesneau dirige l'Unité anticollusion, qui est elle-même membre de l'UPAC. La semaine dernière, il a affirmé que «l'UPAC, c'est pas fort». Il a ajouté qu'elle devrait être dirigée par un juge à la retraite, pas par un ex-policier (M. Lafrenière a longtemps dirigé des services à la Sûreté du Québec).

«J'ai la réputation d'être un homme d'action, bien fixé sur les objectifs à atteindre, a rétorqué M. Lafrenière, hier. Ceux qui me connaissent savent aussi que je ne suis pas un homme de conflit. Ce n'est pas dans mes valeurs.

«Il n'est cependant pas plus dans mes valeurs de laisser quelqu'un jeter le discrédit sur l'UPAC, sans défendre cette organisation que je dirige et dont je suis très fier.

«J'aurai très bientôt une franche discussion avec M.Jacques Duchesneau sur ses récentes déclarations et sur son avenir au sein de l'UPAC. Je ne peux accepter que le discrédit soit jeté sur les hommes et les femmes qui, chaque jour, consacrent leurs énergies à combattre la corruption au Québec.»

M. Lafrenière a refusé de divulguer ce qu'il allait dire à M.Duchesneau lorsqu'il le rencontrera, avant la fin de la semaine. Mais il n'a pas caché sa mauvaise humeur.

«M. Duchesneau, c'est un cas dont je vais m'occuper un peu plus tard cette semaine, a-t-il dit. Je ne ferai pas de gestion de personnel en public.»

Lorsqu'il dirigeait des services à la SQ, a-t-il affirmé, il n'aurait jamais accepté qu'un enquêteur le critique en public.

En 2007, le premier ministre Jean Charest a nommé M.Lafrenière sous-ministre au ministère de la Sécurité publique. Puis, en mars dernier, il l'a nommé à la tête de l'UPAC, qui coordonne une équipe d'environ 200 personnes issues d'une demi-douzaine de ministères et organismes, dont l'escouade Marteau de la SQ.

Le commissaire, qui relève du ministre de la Sécurité publique Robert Dutil, a longuement fait l'éloge de l'UPAC, «un regroupement d'expertises permettant de lutter de façon concertée et permanente contre la corruption dans le secteur public québécois».

En réponse à un journaliste, il a soutenu que tenir une commission d'enquête publique comme l'a recommandé Jacques Duchesneau «pourrait définitivement affecter les enquêtes policières en cours».

«On aurait deux agendas, a-t-il dit. Celui de la commission avec ses procureurs, qui voudraient rencontrer des témoins. Et nous [à l'UPAC], on aurait notre agenda... Plus on veut frapper haut, plus ça nous demande du temps et des ressources. Une commission pourrait nous influencer pour activer les choses, changer nos stratégies, aller plus rapidement et nous empêcher d'aller plus haut.

«Deuxième point: quelqu'un qui serait assigné par la commission à huis clos ou en audience publique saurait automatiquement qu'il est assigné. Ça changerait son comportement. Il y aurait plus de méfiance, et peut-être des destructions de preuves.

«Troisième point: les organisations policières travaillent beaucoup avec des témoins [des informateurs], des gens qui traversent la clôture. Ce serait beaucoup plus difficile de "retourner" ces personnes, comme on dit, si elles sont appelées à témoigner dans une commission.»

M. Lafrenière a refusé de dire quelles enquêtes sont en cours. Ainsi, il n'a pas voulu confirmer les informations données par Jean Charest, qui a indiqué le printemps dernier que l'UPAC enquêtait à Laval.

N'est-il pas aberrant que des entreprises condamnées pour fraude fiscale voient leur licence suspendue pendant seulement sept jours (voir notre article sur Terramex, page 4)? «C'est aux ministères concernés de changer leurs lois, a dit le commissaire. De mon côté, j'ai un pouvoir de recommandation, justement pour éviter les aberrations.»

M. Lafrenière s'est félicité de l'augmentation prochaine du nombre de procureurs affectés à l'UPAC, qui passera de 5 à 20. Il assure que l'UPAC est totalement indépendante et qu'elle ne subit aucune pression politique pour épargner des cibles potentielles. Par ailleurs, il n'a pas entendu parler d'un certain découragement dans l'escouade Marteau, qu'a décidé d'abandonner un de ses principaux piliers, le capitaine Éric Martin.

Les enquêteurs de Marteau ont rencontré 623 témoins, exécuté 142 mandats, amené les procureurs à déposer 68 chefs d'accusation contre 17 personnes, a-t-il dit. Le dossier du député Tony Tomassi, qui a accepté une carte de crédit de l'agence de sécurité BCIA, a été confié aux procureurs. Au total, huit dossiers sont déjà devant les tribunaux. Et d'autres le seront au cours des prochains mois, a affirmé M.Lafrenière.

Le commissaire a souligné que cela ne fait pas longtemps que le Québec a fait de la lutte contre la corruption une priorité. L'UPAC est là pour durer, a-t-il insisté: c'est une organisation permanente en laquelle les Québécois doivent avoir confiance.