Jacques Duchesneau propose une commission d'enquête en deux étapes - à huis clos devant trois juges, puis publique si nécessaire. Mais cette solution n'est pas limpide, croient deux avocats de la commission Gomery, Bernard A. Roy et Sylvain Lussier. Et à en juger par leurs explications, elle n'est pas nécessaire pour remplir les objectifs visés par M. Duchesneau.

Le chef de l'Unité anticollusion suggère une première phase à huis clos «pour que des gens viennent témoigner sans craindre pour leur sécurité».

«Mais les commissions commencent déjà par un volet confidentiel. Peut-être qu'en insistant sur la phase en huis clos, il voulait infléchir la position du gouvernement, montrer qu'on pourrait protéger les réputations», réfléchit prudemment Me Roy, procureur en chef de la commission Gomery.

Un huis clos possible

Selon lui, une commission d'enquête publique conventionnelle permet de décréter un huis clos, protéger les témoins et éviter l'interférence avec les enquêtes policières. Il s'agit des trois principes qui guident présentement le gouvernement Charest dans sa «réflexion».

«La première phase se déroule de façon confidentielle. On rencontre les témoins avec leur avocat. Ils ne sont pas sous serment et le commissaire n'est pas présent», rappelle Me Lussier, qui représentait le gouvernement du Canada à la commission Gomery. Un procès-verbal confidentiel est envoyé aux différents partis de la commission. Il ne peut être utilisé contre les témoins.

Si M. Duchesneau a suggéré une première partie à huis clos, c'était aussi pour filtrer les témoignages non fondés et ainsi «protéger les réputations». Mais le volet initial et confidentiel des commissions remplit déjà ce rôle, explique Me Roy. Il permet d'éliminer ces témoins ou de demander un huis clos pour éviter les préjudices.

Cas par cas

La demande d'un huis clos ne figure pas dans le mandat d'une commission. Le commissaire prend plutôt ces décisions au cas par cas, affirme Me Lussier. Et chacune de ces décisions peut être contestée.

La Charte québécoise prévoit que chacun a le droit d'avoir une «audition publique» par un tribunal «qui ne soit pas préjugé». Cette protection est encore plus forte que dans la Common Law, ajoute-t-il.

Un huis clos est autorisé si «l'ordre public» le justifie. Le commissaire se doit alors d'équilibrer différents droits: s'il y a lieu, celui à l'intégrité physique, ainsi que ceux à une défense pleine et entière, à sa réputation, à la liberté de la presse et à la publicité des débats. «Mais cette notion doit être appliquée de façon restrictive, au minimum requis», précise-t-il.

Réputations

Les deux avocats soulignent que de l'aveu même de la Cour suprême, les réputations sont souvent des victimes collatérales des commissions d'enquête.

Le gouvernement Charest craint qu'une commission d'enquête nuise aux enquêtes policières. «La Cour suprême a été très claire là-dessus: ce n'est pas parce qu'il y a des poursuites criminelles qu'il ne peut pas y avoir une commission d'enquête pour faire la lumière sur les circonstances entourant l'affaire en question», rappelle Me Roy.

Des précautions doivent toutefois être prises, prévient-il. On peut demander un huis clos ou une ordonnance de non-publication. Le commissaire peut aussi demander de ne pas parler des faits en cause dans un procès.