Vidé de son expertise, le ministère des Transports s'est «abandonné au privé» avec les risques que cela comporte, a soutenu mardi le patron de l'Unité anticollusion (UAC), Jacques Duchesneau.



Après avoir prêté serment, M. Duchesneau a entrepris son témoignage en commission parlementaire pour expliquer les tenants de son rapport dévastateur sur la collusion et le trafic d'influence dans l'industrie de la construction et les pratiques d'appels d'offres publics au ministère des Transports (MTQ).

«Nous sommes en face d'un système de collusion», a dit l'enquêteur d'entrée de jeu, mettant en garde contre les «généralisations» visant l'ensemble des fonctionnaires du MTQ ou l'industrie de la construction dans son ensemble.

Le rapport de l'UAC, qui a déjà fait l'objet d'une fuite dans les médias, conclut qu'un grand nombre d'entreprises québécoises du domaine de la construction entretiennent des liens avec des organisations criminelles, notamment la mafia.

De même, indique le document, des groupes d'entrepreneurs généraux fonctionnent comme des cartels, à savoir qu'ils organisent la collusion lors d'appels d'offres publics afin de protéger leurs membres, d'éliminer la concurrence et de décrocher des contrats aux prix qu'ils désirent.

Les firmes de génie-conseil sont aussi pointées du doigt par l'UAC.

Le rapport décrit les manoeuvres du crime organisé, des firmes de génie-conseil et des entrepreneurs en construction pour exercer la mainmise sur les contrats du ministère des Transports.

En plus de s'entendre entre eux pour contourner les processus d'appels d'offres, ces acteurs du monde de la construction auraient mis au point un stratagème de surfacturation pour contribuer illégalement aux caisses des partis politiques.

Outre les conclusions de son rapport, M. Duchesneau précisera aussi aux parlementaires les implications de sa proposition au gouvernement de lancer une commission à huis clos avant la tenue d'une commission d'enquête publique en bonne et due forme.

Le directeur de l'UAC a suggéré la tenue d'une commission présidée par trois juges qui recueilleraient des témoignages à huis clos. Un tel scénario n'exclut pas pour autant une enquête publique, mais aurait l'avantage, selon M. Duchesneau, d'inciter des témoins réticents à se mettre à table à l'abri des médias.

En matinée, le ministre des Transports Pierre Moreau a accueilli avec ouverture la proposition de M. Duchesneau.

«Si ça fait notre affaire? Moi, je n'exclus rien», a-t-il indiqué à l'entrée d'une réunion du caucus des députés libéraux à l'Assemblée nationale.

Le ministre des Transports a soutenu que le sujet n'avait pas été soulevé lors de sa rencontre privée avec M. Duchesneau vendredi dernier.

Quant à lui, le ministre de la Sécurité publique, Robert Dutil, est demeuré prudent. Il faut analyser plus à fond la proposition de M. Duchesneau avant de commenter, a-t-il fait valoir.

«Une idée a été émise dimanche soir, je pense qu'il faut prendre le temps d'y réfléchir. On ne peut pas donner d'opinion à ce moment-ci», a-t-il dit.

Si le gouvernement Charest affiche un intérêt pour le compromis proposé par M. Duchesneau, ce n'est pas le cas de l'opposition péquiste, qui continue de réclamer haut et fort une commission d'enquête publique.

Pour que la vérité soit enfin connue, la population québécoise n'acceptera rien de moins qu'une enquête publique, a déclaré la chef Pauline Marois.

«Pas de commission d'enquête privée, a lancé Mme Marois à Longueuil. Parce qu'il restera toujours un doute. La population est trop ulcérée par ce qui se passe. (Une enquête à huis clos) ne satisferait pas la population et ça ne me satisferait pas non plus.»