À peine nommé, le nouveau ministre des Transports Pierre Moreau se retrouve déjà dans l'embarras. Lors de la campagne électorale de 2008, son organisateur dans sa circonscription de Châteauguay, Daniel Rochette, était aussi dirigeant de la firme de génie-conseil Genivar, a appris La Presse. La firme Genivar nous a confirmé que, jusqu'en mai 2010, Daniel Rochette a été adjoint au président de la division des infrastructures municipales.

Un rapport secret de l'unité anticollusion du ministère des Transports, dont La Presse a publié des extraits jeudi, consacre plusieurs pages aux firmes de génie-conseil qui, de l'avis des auteurs, «ont été trop maternées» par le Ministère. Les liens étroits entre politique et génie-conseil, en particulier le trafic d'influence et les opérations de financement occulte, sont aussi dénoncés.

Dans une longue entrevue qu'il a accordée au Soleil de Châteauguay en décembre 2008, «dans les confortables locaux du candidat libéral Pierre Moreau», M. Rochette raconte en long et en large son parcours d'organisateur. Il s'enorgueillit d'une vingtaine de campagnes électorales, dont plusieurs pour le compte de l'actuel ministre de la Justice, Jean-Marc Fournier, son «ami».

Il soutient aussi agir bénévolement avant d'ajouter cette phrase énigmatique: «C'est certain que ça a créé tout un réseau de contacts. Ça donne des entrées et c'est plus facile, par exemple, d'inviter des politiciens pour des levées de fonds.»

Joint par La Presse, Daniel Rochette a minimisé son rôle auprès de Pierre Moreau et a même nié avoir travaillé pour lui comme organisateur: «J'ai juste donné un coup de main. Téléphonez à M. Moreau. Moi, je ne suis pas intéressé à vous parler», a-t-il dit avant de mettre fin abruptement à la conversation.

Le ministre Moreau nous confirme que M. Rochette est une «connaissance» et un militant libéral de longue date «qui a un groupe auprès de qui il joue une influence». Il a travaillé à son organisation, mais pas comme directeur de campagne, dit-il. «Je ne l'ai revu qu'une fois depuis.»

À Genivar, on nie toute implication politique. On insiste en revanche sur le fait que la firme ne peut empêcher ses employés de s'engager dans des causes, en particulier politiques, mais «cela ne doit pas être lié au travail, ni se faire durant les heures de travail», indique Isabelle Adjahi, directrice des communications.

«Nous avons un code de conduite très clair à ce sujet, ajoute-t-elle. De même, les dons aux partis politiques ne sont pas remboursés par l'entreprise.»

Caisses occultes et influence

«Je ne sais pas qui M. Charest peut nommer comme ministre des Transports, car ils sont tous impliqués jusqu'au cou avec les firmes de génie-conseil et de construction», estime quant à lui Amir Khadir, député de Québec solidaire.

Les enquêteurs de Jacques Duchesneau ont recueilli des témoignages qui détaillent les stratagèmes employés par les firmes de génie pour constituer et alimenter des caisses occultes. «Plus ils ont de contrats, plus ils donnent; plus ils donnent, plus ils ont de l'influence; plus ils ont de l'influence, plus ils ont de contrats», résume un conseiller politique cité dans ce rapport.

«On nous prête plus d'importance que nous n'en avons dans la réalité», a déclaré récemment la présidente de l'Association des ingénieurs-conseils du Québec, Johanne Desrochers.

En 2010, AXOR a plaidé coupable et payé une amende de 90 000$ au DGE du Québec pour avoir financé illégalement le PLQ, le PQ et l'ADQ (40 infractions constatées).

Pour sa part, le ministre Pierre Moreau nie que l'implication de ce dirigeant de Genivar dans sa campagne puisse être «gênante» dans le contexte actuel: «Gênant de quoi? s'est-il exclamé. Je ne lui ai jamais demandé ce qu'il faisait dans la vie. Ce qui importe vraiment, c'est comment je me comporte par rapport à des demandes qu'il me ferait.

- Vous a-t-il fait des demandes? lui a-t-on demandé.

- Jamais!»

«M. Moreau est très mal parti, il va finir comme Sam Hamad, qui vient aussi du génie-conseil (Roche), et perdre toute crédibilité s'il s'entête à nier l'évidence», estime Amir Khadir.

Selon lui, tout le gouvernement ainsi que l'appareil libéral sont désormais sur la sellette, jusqu'au premier ministre Jean Charest. «N'oublions pas que c'est le vice-président-directeur de CIMA+, André Couturier, qui a été directeur de campagne de Jean Charest aux dernières élections.»

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