Des entreprises éclaboussées par ce que l'enquête de l'Unité anticollusion appelle «le cartel de l'éclairage» affirment que le marché est assez concurrentiel et n'ont pas l'intention de changer leurs pratiques.

Dans un rapport secret que La Presse a obtenu mercredi, les enquêteurs de l'Unité soulignent que l'industrie de l'éclairage routier représente «tout un marché» au Québec. Un marché contrôlé par un petit groupe d'entrepreneurs regroupés en cartel, écrivent-ils.

«Un unique fournisseur contrôle la majeure partie du marché des luminaires, alors que deux fabricants et distributeurs de hauts mâts et lampadaires se partagent, quant à eux, la quasi-totalité de ces ventes», lit-on dans le document.

Le rapport ne nomme pas les entreprises, mais les deux fabricants et distributeurs de hauts mâts et de lampadaires les plus importants sur le marché sont reconnus comme étant Feralux, de Sainte-Julie, et Pole-Lite, de Saint-Philippe.

Un marché «concurrentiel»

À Pole-Lite, personne n'était disponible pour répondre à nos questions. Mais à Feralux, le directeur général, Alain Berthier, affirme que la situation est normale.

«Oui, il y a deux fournisseurs principaux qui ramassent la majorité du chiffre d'affaires, mais c'est simplement parce que nous avons les meilleurs prix et que, techniquement, nous sommes capables de faire des choses que les autres ne peuvent pas faire», dit-il.

«Feralux ne changera pas sa façon de faire des affaires. Je pense que nous sommes un fournisseur apprécié par le Ministère et les clients pour la qualité de nos produits et de leur installation», ajoute-t-il.

Le rapport affirme aussi que, «depuis déjà quelques années, trois entrepreneurs spécialisés ont la mainmise sur les contrats d'installation de ces produits homologués pour l'ensemble des projets routiers du Grand Montréal».

«Comme dans le cas d'un cartel, il n'y a pas de concurrence possible», dit le document.

Michel Matte, vice-président de Néolect, un des plus grands installateurs de la région de Montréal, affirme que les enquêteurs se trompent de cible s'ils visent son entreprise: «Les trois plus gros paraissent toujours, mais dans le fond on est plus que trois joueurs. Ils vont nous dire que ce sont toujours les mêmes qui gagnent - c'est parce que ce sont les meilleurs», dit-il.

«Nous, on prend le devis et on installe ce qui est écrit. S'il faut enquêter, c'est du côté du génie-conseil, du Ministère, des villes, ou n'importe quoi», ajoute-t-il.

Même son de cloche chez son concurrent de Brossard, autre grand installateur d'éclairage routier de la région. Il confirme que les entreprises d'installation d'éclairage Brossard, Néolect et Chagnon sont «les plus vieilles en âge» dans la région de Montréal, mais il affirme qu'il en existe d'autres capables de remporter des contrats.

«Le marché n'est pas uniforme, c'est concurrentiel, très concurrentiel», se défend-il.

Pas d'accord

Les enquêteurs se sont aussi penchés sur le marché de l'asphalte. Ils ont découvert que la pierre concassée et le bitume utilisés comme matières premières sont vendus par un petit nombre d'acteurs qui étouffent la concurrence.

«Pas plus que l'éclairage et la supersignalisation, les matières premières que requièrent les projets routiers n'échappent à l'attrait du cartel», écrivent les enquêteurs.

«Certains entrepreneurs dominent cette industrie dont ils peuvent sérieusement entraver le libre marché», précise le rapport.

Le document cite, sans la nommer, une région du Québec où le ministère des Ressources naturelles a consenti à une entreprise d'asphaltage un bail exclusif pour exploiter une carrière sur les terres de la Couronne. L'entreprise s'est retrouvée fournisseur unique de pierre concassée dans la région, ce qui lui a donné un avantage sur tous les concurrents qui souhaitaient faire de l'asphalte.

Quant au bitume, depuis la fermeture de la raffinerie Shell de Montréal, il ne reste que quatre fournisseurs au Québec, qui pratiquent parfois des prix identiques ou très similaires: Bitumar, Kildair, McAsphalt et Suncor (Petro-Canada).

Renald Leclerc, président de Bitume Québec, l'association qui regroupe les fournisseurs et les utilisateurs de bitume, est choqué des allégations du rapport. «Je ne suis pas du tout d'accord, clame-t-il. S'entendre sur les prix? Sûrement pas! Chez les membres, on ne serait pas contents s'il y avait des gens hors la loi.»

Quant à la réduction du nombre de fournisseurs de bitume, il observe que c'est la tendance du marché international et que le Québec la suit.