Malgré leur expertise, les trois quarts des enquêteurs et agents de renseignement de l'unité anticollusion de Jacques Duchesneau, au ministère des Transports, notamment d'ex-policiers spécialistes du crime organisé, ne pourront être intégrés à l'Unité permanente anticorruption (UPAC), a appris La Presse. Raison invoquée par Québec: ils ne sont pas fonctionnaires!

«L'UPAC est un organisme gouvernemental et, en vertu de la loi, ses membres doivent être issus de la fonction publique», confirme Anne-Frédérick Laurence, porte-parole de l'UPAC.

La quinzaine d'enquêteurs de l'escouade Duchesneau, qui avaient fait carrière dans la GRC, le SPVM et la SQ, ont été avertis au mois d'avril qu'ils devaient passer un concours d'entrée dans la fonction publique pour poursuivre leur travail. Celui-ci a eu lieu le 27 août.

Or, selon nos sources, la majorité d'entre eux, choqués et dépités, ont rejeté ce processus ou bien n'ont pas été admis au concours malgré leur expérience dans la lutte contre le crime organisé, notamment.

Si bien que rares sont ceux qui se sont présentés à l'examen du Conseil du Trésor.

Aujourd'hui, certains ont même déjà quitté leur emploi ou s'apprêtent à le faire. Le contrat de cinq de ces enquêteurs arrive à échéance dans un mois. Pour cinq autres, ce sera en avril 2012.

Pour le moment, selon notre estimation qu'ont confirmée trois sources, à peine un quart des membres de l'unité du ministère des Transports devraient survivre à ce processus de sélection.

À court terme, cela signifie que plusieurs des enquêtes menées par l'unité de Jacques Duchesneau sont déjà en suspens ou sur le point de l'être.

À moyen terme, l'UPAC, dont le gouvernement avait annoncé la formation en grande pompe, en février 2011, pour justifier son refus de mettre sur pied une commission d'enquête sur l'industrie de la construction, sera privée de l'expertise d'une dizaine de ces spécialistes du ministère des Transports.

«Oui, c'est certain qu'il y a une expertise que l'on aimerait bien conserver, mais le concours va nous permettre d'en trouver d'autres tout aussi variées», a dit Anne-Frédérick Laurence. Elle ajoute que les contrats de ces enquêteurs seront honorés jusqu'à leur terme et qu'une période de transition leur permettra de passer leurs dossiers aux nouveaux venus.

Travail de terrain

L'ex-chef de police de Montréal avait recruté cette quinzaine de spécialistes à l'hiver 2010, lors de la création de l'unité anticollusion du ministère des Transports. Quatre avaient travaillé à la GRC, quatre à la police de Montréal et trois à la Sûreté du Québec. Il s'agit d'enquêteurs, d'analystes et d'agents de renseignement.

Leur mandat consistait à examiner les contrats et chantiers du MTQ afin de «prévenir la collusion dans l'attribution de tous les contrats dans lesquels le Ministère a une participation financière directe ou indirecte».

Chaque enquêteur avait sous sa responsabilité un ou plusieurs chantiers, en particulier ceux, majeurs, qui touchent le réseau routier de la région métropolitaine. La présence des enquêteurs y était presque constante, y compris lors des réunions de chantier.

Leur mission était de taille lorsqu'on sait que le ministère des Transports va investir 4 milliards dans le réseau routier en 2011-2012.

Sur le terrain, les membres de l'escouade Duchesneau avaient la réputation d'être plutôt actifs. Est-ce une relation de cause à effet? On a même noté depuis quelques mois une baisse du prix moyen des soumissions de l'ordre de 10 à 20%.

L'activité soutenue de cette unité ne semble pas avoir plu à tout le monde. Lorsque Jacques Duchesneau a dû se retirer, en novembre 2010, à la suite d'allégations de financement illégal de son parti aux élections municipales de 1998, certaines voix se sont publiquement demandé si cela n'était pas la conséquence d'une manoeuvre de déstabilisation. Citée par Le Devoir, une source gouvernementale avait même affirmé: «M. Duchesneau et son équipe font des enquêtes qui dérangent certaines personnes qui essaient de le tasser de là. [...] Ils veulent lui faire la job

L'ex-chef de police avait réintégré ses fonctions trois mois plus tard après avoir été blanchi par le Directeur général des élections. La Presse avait aussi publié peu auparavant une enquête qui concluait que Jacques Duchesneau n'avait utilisé ni prête-nom ni financement occulte à cette époque.

Jacques Duchesneau n'a pas voulu émettre de commentaire. On ignore s'il poursuivra ou non sa carrière à l'UPAC.

Nouvelle tuile

Il n'en demeure pas moins que ce départ forcé des enquêteurs du MTQ est une nouvelle tuile sur la tête de l'UPAC, qui n'a encore rien accompli de très probant depuis sa création, mis à part une série de perquisitions au mois d'avril en Montérégie.

Cette unité dirigée par Robert Lafrenière, ancien chef des enquêtes à la Sûreté du Québec, a aussi fait les frais d'une campagne de boycottage des procureurs de la Couronne au printemps dernier. En réaction à l'imposition d'une loi d'exception pour les forcer à mettre fin à leur grève, ils avaient signifié qu'ils ne se porteraient pas candidats à la vingtaine de postes de procureur à pourvoir à l'UPAC.

Neuf postes ont toutefois été ouverts à la mi-août par Me Louis Dionne, Directeur des poursuites criminelles et pénales.

À terme, près de 15 procureurs syndiqués travailleront à l'UPAC sous la responsabilité de Me Sylvain Lépine. Le bureau de Me Louis Dionne n'a pas rappelé La Presse.

Malgré ces embûches, l'UPAC assure que sa «machine est en route»: «Le recrutement va très bien, indique Anne-Frédérick Laurence. Et même si toutes ces équipes ne travaillent pas physiquement ensemble, il y a beaucoup d'échange d'informations depuis l'entrée en fonction du commissaire.»