La Sûreté du Québec a déjà vérifié les antécédents judiciaires d'environ 13 400 entrepreneurs, sur les 38 000 détenteurs de licences de construction, pour débusquer les brebis galeuses. Un travail qu'elle a facturé 860 000 $ à la Régie du bâtiment du Québec, a appris La Presse.

Cette vaste opération de vérification de la «probité» des entrepreneurs ainsi que des actionnaires de ces firmes découle d'un lot de mesures annoncées par le gouvernement à l'automne 2009, identifiées «Projet de loi 73», pour assainir le monde de la construction et empêcher que le crime organisé puisse continuer d'y sévir.

«Les entrepreneurs devront avoir un dossier sans tache pour obtenir leur licence et pour se qualifier à des appels d'offres du gouvernement», avait alors déclaré le ministre Sam Hamad.

Selon les termes de l'entente signée entre la RBQ et la Sûreté du Québec en janvier 2010, obtenue par La Presse en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, le corps policier facturait à l'origine 62,68 $ à l'organisme gouvernemental pour chaque vérification d'antécédents judiciaires. Ce montant a été augmenté à 64,60 $ selon ce qui est inscrit sur la dernière facture datée du 31 mars 2011.

Un calcul rapide permet d'évaluer à 2 432 000 $ le budget total de l'opération.

Le nombre de dossiers vérifiés chaque trimestre depuis le printemps 2010 varie entre 1381 et 4647.

Depuis juin 2010, la RBQ a déjà réglé 859 023 $ à la Sûreté du Québec, mais elle n'a pas le choix, explique-t-on.

«La Régie n'est pas un corps policier, dit son porte-parole Sylvain Lamothe. Ce sont des informations auxquelles la SQ a accès, à travers certains fichiers, mais pas nous. [...]».

La Loi sur le bâtiment (article 70) prévoit que la licence d'un entrepreneur ou d'une entreprise peut être suspendue ou révoquée si son titulaire a été reconnu coupable dans les cinq ans qui précèdent «d'une infraction à une loi fiscale ou d'un acte criminel que la personne n'entend exercer dans l'industrie de la construction».

Sont également visées les personnes qui auraient été déclarées coupables d'infractions reliées à des organisations criminelles.

C'est au régisseur de la RBQ que revient la décision de révoquer, suspendre, voire restreindre la licence des entrepreneurs concernés.

Processus fastidieux

Les deux dossiers le plus médiatisés actuellement à l'étude sont ceux de Constructions Louisbourg ltée et Simard-Beaudry Construction, d'Antonio Accurso.

Les deux firmes ont plaidé coupable en décembre 2009 à des accusations de fraude fiscale pour un total de 4,13 millions de dollars au détriment de Revenu Canada. Le fisc canadien a considéré que certaines dépenses effectuées par exemple sur le fameux yacht Touch, à bord duquel plusieurs politiciens et hauts fonctionnaires municipaux se seraient prélassés, n'avaient rien de professionnel.

Le gouvernement Charest avait immédiatement affirmé que la RBQ allait sanctionner rapidement ces entreprises. La ministre du Travail Lise Thériault avait déclaré: «Quand on est coupable, on est coupable. [...] Ce n'est pas parce que c'est l'une des plus grandes entreprises québécoises qu'on va passer outre aux lois qu'on s'est données.»

Neuf mois plus tard, aucune date d'audience n'a encore été fixée, mais cela ne saurait tarder, indique-t-on à la RBQ sans autres détails.

Fait à signaler, dans le cas des entreprises citées ici, les enquêteurs de la RBQ n'ont pas eu accès à la preuve de Revenu Canada puisque celle-ci est confidentielle. Ils ont dû tout reprendre à zéro et démontrer que la fraude était reliée à des activités du domaine de la construction.

Au total depuis le début du partenariat entre la SQ et la RBQ, 118 licences ont été suspendues, révoquées ou restreintes.

Une seule entreprise a choisi de l'abandonner spontanément, soit Construction Renda, de Paulo Renda. M. Renda, membre du clan Rizzuto, avait été arrêté par la GRC en 2006 dans le cadre de l'opération Colisée. Il a été enlevé en mai 2010, on ne l'a jamais revu depuis. Il avait comparu un mois plus tôt devant le régisseur de la RBQ en compagnie de son avocat Me Loris Cavaliere pour signifier qu'il abandonnait ses activités dans la construction.

- Avec la collaboration de William Leclerc