Le Fonds de solidarité FTQ a acheté au prix fort le centre commercial de Tony Accurso. L'institution paie l'équivalent de deux fois l'évaluation municipale et de 15 à 30% de plus que les transactions comparables.

Mardi, le Fonds a annoncé avoir payé 85 millions de dollars pour les Galeries Laval et des terrains adjacents. Or, la valeur foncière 2010 de ces propriétés s'élève à 44 millions, selon la Ville de Laval.

Les Galeries Laval, situées rue Le Corbusier, font près de 500 000 pieds carrés et comptent des magasins comme Zellers et Réno-Dépôt. Le premier bloc de terrains vendu est situé à l'arrière du centre et le second est stratégiquement situé au coin des boulevards Saint-Martin et Le Corbusier.

Le centre a besoin d'importantes rénovations. Et depuis la fermeture du complexe Tops, de Tony Accurso, le taux d'inoccupation est passé à près de 25%, selon des informations dans le marché, un taux jugé très élevé.

Malgré tout, le Fonds FTQ estime avoir fait une bonne transaction, en raison de «l'excellent potentiel de développement» du centre et de sa position stratégique, près de l'autoroute 15, du métro Montmorency et des nouvelles tours de condos en construction.

Tony Accurso n'empoche pas la totalité des 85 millions. Son entreprise Simard-Beaudry rembourse les 36 millions qu'elle devait au Fonds FTQ. Ces prêts étaient à risque pour l'institution, puisque non garantis par des actifs, nous dit Josée Lagacé, porte-parole du Fonds.

M. Accurso acquitte également sa dette de 21,5 millions envers le Mouvement Desjardins, pour laquelle le Fonds s'était porté garant. La transaction permet aussi de rembourser l'hypothèque de 5 millions de la Caisse de dépôt. Tout compte fait, Tony Accurso conserverait plus de 15 millions dans cette affaire.

Un communiqué inexact

Le Fonds FTQ s'en est remis à un évaluateur payé par le groupe de Tony Accurso pour estimer la valeur des Galeries Laval. Cet évaluateur travaille pour la firme Cushman & Wakefield.

Dans son communiqué, le Fonds cite même cet évaluateur, Éric Israël, pour justifier le grand écart avec la valeur foncière de la Ville de Laval. «La valeur municipale d'un édifice, écrit M. Israël, ne tient compte que des coûts liés à sa construction, alors que sa valeur commerciale doit tenir compte de plusieurs facteurs comme son emplacement, la qualité de ses locataires et les projets environnants.»

Or, deux experts contredisent carrément M. Israël à ce sujet. L'un d'eux est directeur du service d'évaluation d'une grande ville. L'autre est l'évaluateur agréé Frédéric Labrie, directeur de la division du commerce de détail du Groupe Altus, une firme réputée.

«Non, ce n'est pas exact de dire que la valeur municipale ne tient compte que des coûts de construction. Elle tient plutôt compte des revenus provenant des locataires et du développement du secteur, à moins qu'il s'agisse d'un immeuble neuf», explique M. Labrie. Autrement dit, à quelques détails techniques près, la valeur foncière reflète la valeur marchande d'une propriété. L'écart qu'on observe souvent avec les prix vendus tient plutôt au fait que l'évaluation de la Ville date de quelques années.

Des comparables

À Laval, par exemple, l'évaluation foncière actuelle des propriétés est basée sur le marché immobilier de juillet 2008. Dans le marché actuel, les centres commerciaux semblables se vendent à un prix qui excède d'environ 35% l'évaluation municipale du marché de référence de 2008, explique M. Labrie.

En somme, en vertu de cet élément de comparaison, les Galeries Laval vaudraient environ 60 millions, soit 25 millions de moins que le prix payé par le Fonds.

Autre point de comparaison: le prix de vente des transactions semblables en fonction de la superficie du centre. Ce printemps, la Place Portebello et la Place Longueuil, sur la Rive-Sud, se sont vendus à des prix oscillant entre 137 et 143$ le pied carré, selon un rapport de la firme Brookfield Financial.

La transaction des Galeries Laval, en excluant les terrains, lui attribue plutôt une valeur de 160$ le pied carré, soit 15% de plus que les deux centres, l'équivalent de 12 millions de dollars.

Le Fonds aurait eu recours à un autre évaluateur externe pour juger du prix, ainsi qu'à un expert immobilier. «Tous sont arrivés aux mêmes conclusions que Cushman&Wakefield», a dit Mme Lagacé.

Mme Lagacé n'a toutefois pas voulu nous indiquer le nom de ces experts. Elle n'a pas davantage voulu confirmer le taux d'inoccupation de près de 25% des Galeries Laval, indiquant que des négociations sont en cours avec des bannières importantes. «Il s'agit d'une transaction privée», dit Mme Lagacé.

Le Fonds FTQ compte près de 600 000 petits actionnaires, qui ont acheté leurs actions au fil des ans grâce à des crédits d'impôt de plusieurs centaines de millions de dollars des gouvernements. L'actuel président du conseil d'administration du Fonds FTQ, Michel Arseneault, considère Tony Accurso comme un bon ami, qu'il fréquente régulièrement. Le précédent président de la FTQ, Henri Massé, a un fils qui a travaillé comme cadre pour une entreprise de Tony Accurso.

- Avec la collaboration d'André Dubuc