Pour certains, il portait le rêve d'une société plus juste. D'autres se réveillaient la nuit pour le haïr. Après avoir sonné la charge de la grève étudiante, l'ex-co-porte-parole de la CLASSE, Gabriel Nadeau-Dubois, raconte sa version dans son premier livre, Tenir tête.

Q Vous donnez trois grandes raisons pour votre démission de la CLASSE en août 2012: l'épuisement, la crainte d'être utilisé comme épouvantail par les libéraux durant la campagne électorale et la contestation à l'interne. Que vous reprochait-on?

R La CLASSE n'a jamais été un bloc monolithique. Ce n'est pas pour rien que nos congrès étaient aussi longs... Plus je prenais de place dans les médias, plus il y avait des débats sur ma manière de défendre les mandats. À cela se sont ajoutées les positions que je défendais aux congrès avec l'exécutif. Sur la négociation, on défendait l'importance d'y être, alors que des associations souhaitaient une confrontation directe. [...] Quand j'ai démissionné, j'avais aussi un malaise profond avec le fait que la CLASSE appelle à la poursuite de la grève à la fin d'un été où il y avait eu très peu, ou pas, d'assemblées générales et de discussions. Je ne pouvais plus défendre la grève avec conviction.

Q Quand l'animateur Benoît Dutrizac vous apprend en ondes que lors d'une manifestation, un pavé aurait été jeté d'un viaduc sur l'autoroute Ville-Marie, vous finissez par dénoncer, sans en avoir le mandat. Dans le livre, vous racontez que vous étiez prêt à être destitué...

J'avais deux membres de l'exécutif avec moi. Je leur ai dit: ça n'a pas d'allure, on ne peut pas rester indécis là-dessus. J'ai appelé les autres. On m'a dit: dénonce, et si ça mène à ta destitution, on va démissionner en bloc. Ce qui est ironique, c'est qu'on n'est pas certain maintenant qu'un pavé a vraiment été lancé ce jour-là.

Q Dans son dernier essai, le juriste et éthicien Guy Durand pose certaines conditions pour légitimer la désobéissance civile: la faire de façon publique, pacifique, à visage découvert, en assumant les conséquences. Ce doit aussi être une mesure de dernier recours. Ces conditions étaient-elles remplies par le mouvement étudiant?

R Le meilleur exemple, où on a fait de la vraie désobéissance civile authentique, c'est après la loi spéciale. On a fait une conférence de presse au parc Émilie-Gamelin, devant 200 personnes, avec tout l'exécutif, pour dire qu'on briserait la loi (à la manifestation du 22 mai) et qu'on assumerait les conséquences.

Q Vous qualifiez le mouvement étudiant d'Indiens sans chef, ce que le gouvernement libéral, qui vous demandait de parler au-delà de vos mandats, n'aurait jamais compris. Mais le mouvement était-il ingouvernable? Par exemple, changeriez-vous quelque chose à la structure de la CLASSE?

R C'était la force de ce mouvement populaire. Mais oui, ça a posé des défis, notamment sur la négociation. On avait très, très peu de marge de manoeuvre. Le comité pouvait proposer la position du congrès, mais il ne pouvait pas vraiment ensuite entrer dans un dialogue. Cela dit, tous les modes d'organisation ont leurs limites. Et je ne serais pas prêt à proposer une réforme.

Q Vous n'aviez pas de latitude pour négocier au-delà de vos mandats ou recommander une entente. Comprenez-vous que c'était difficile pour le gouvernement de négocier dans ces conditions?

R Il ne faut pas penser que les libéraux étaient de bonne foi! En avril, ils ont annulé la négociation sous prétexte qu'il y avait une manifestation. Mais c'était une manifestation organisée contre nous (l'exécutif de la CLASSE), parce qu'on n'avait pas dénoncé l'appel à la trêve! [...] Je pense qu'on a caricaturé le rôle du comité de négociation. Quand le comité faisait le tour des assemblées générales, il fournissait une analyse. Il disait: on pense qu'on peut, ou pas, aller chercher plus. Ce qui est clair par contre, c'est que le comité n'allait pas s'engager auprès du gouvernement pour que nos gens l'adoptent. Il se serait fait désavouer.