L'application d'un règlement municipal ne devrait pas avoir préséance sur les chartes canadienne et québécoise des droits et libertés, a plaidé Québec solidaire, samedi. La formation politique dénonce vertement l'arrestation de masse survenue vendredi soir, alors que plus de 200 protestataires ont été interpellés dès les premières minutes d'une manifestation organisée à Montréal.

La candidate défaite de Québec solidaire dans la circonscription de Sainte-Marie/Saint-Jacques, Manon Massé, joint sa voix à celles d'autres organisations et demande l'intervention du gouvernement Marois, l'exhortant à «réhabiliter le droit de manifester» et à «empêcher les arrestations de masse».

Rejointe au téléphone, l'attachée de presse du ministre de la Sécurité publique, Stéphane Bergeron, a déclaré que ce dernier n'accorderait par d'entrevues au cours du week-end. Soutenant qu'il valait mieux s'adresser au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) pour discuter de ce dossier, Jacqueline Aubé a fait remarquer qu'il était normal que des personnes aient été arrêtées considérant qu'aucun trajet n'ait été divulgué par les organisateurs de la manifestation.

Depuis quelques semaines, le SPVM invoque tôt le règlement municipal P-6 plutôt que d'attendre que des méfaits soient commis et procèdent promptement à des interpellations. Et le montant de l'amende est salé: 637 $.

Comme ce fut le cas lors de la manifestation contre la brutalité policière, le 15 mars dernier, la manifestation de vendredi soir n'a tout simplement pas eu lieu puisque les policiers ont procédé à des interpellations avant même que les manifestants ne quittent le lieu de rassemblement et sans que des méfaits aient été commis.

À l'issue de la manifestation, un porte-parole du SPVM, le sergent Jean-Bruno Latour, avait déclaré en entrevue téléphonique à La Presse Canadienne que la charte «permet la liberté d'expression, mais pas de liberté de manifestation».

L'article 3 du chapitre 1 de la Charte des droits et libertés du Québec stipule que «toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d'opinion, la liberté d'expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d'association». Son pendant canadien prévoit, à l'article 2c, que «chacun a les libertés fondamentales suivantes», dont «liberté de réunion pacifique».

En outre, dans un avis rendu le 16 mai dernier, le Barreau du Québec, faisait valoir que «l'obligation de divulguer à l'avance «le lieu exact et l'itinéraire» d'une manifestation peut constituer, en certaines circonstances, une restriction trop importante à la liberté de réunion pacifique garantie par les articles 2c) de la Charte canadienne et 3 de la Charte québécoise».

«Cette assertion aussi hurluberlue qu'affolante, alarmante, effrayante d'un policier du Service de police de la ville de Montréal mène à deux constats: Le premier, les policiers devraient impérativement suivre plus de cours de droit dans le cadre de leur formation. Le second, ça ne va pas du tout au Québec actuellement, et ça fait peur», a réagi l'avocate Véronique Robert dans un billet de blogue publié samedi sur le site de l'hebdomadaire Voir.

Invité à revenir sur sa déclaration, samedi, le principal intéressé a soutenu que les chartes complétaient les droits, mais qu'elles n'allaient «pas à l'encontre des obligations non plus».

«Ça veut dire que si vous devez faire un rassemblement, si vous devez exercer votre liberté d'expression, vous ne pouvez pas y aller à l'encontre du Code criminel ou du Code de procédure pénal, en l'occurrence le Code de sécurité routière ou les règlements en vigueur dans les municipalités», a fait valoir le sergent Latour.

Et s'il est vrai que les policiers agissent plus rapidement - l'été dernier, bon nombre de manifestations ont été tolérées tant et aussi longtemps qu'elles demeuraient pacifiques -, c'est essentiellement parce que le SPVM juge que les organisateurs n'ont pas su profiter des perches qui leur ont été tendues au cours des derniers mois, a-t-il plaidé.

«Celle-ci (la manifestation) était planifiée depuis longtemps. C'est une manifestation du 22, nous connaissons les responsables et les responsables nous connaissent. Ils avaient tout le temps et la liberté de nous communiquer les informations (divulguer le trajet)», a signalé le porte-parole, selon qui le changement d'administration à l'hôtel de ville n'a pas eu d'impact sur le changement de stratégie des autorités du SPVM.

Les organisateurs de la manifestation étudiante de vendredi soir ont aussi remarqué le changement de tactique des forces de l'ordre. Ils jugent qu'ils ont été victimes d'intimidation policière.

Daniel Crespo, porte-parole de l'Association facultaire des étudiants en science politique et droit de l'UQAM, en lien avec l'ASSÉ, croit qu'il s'agit d'une manière de décourager tout mouvement de contestation.

L'association reconnaît que donner le trajet de la manifestation pourrait sans doute éviter les arrestations préventives, mais les votes obtenus en assemblée générale empêchent de le faire. Les membres prétextent qu'une telle collaboration pourrait se retourner contre les manifestants et risquerait de se traduire par des arrestations de masse.

La stratégie pourrait être mise à l'épreuve sous peu, car déjà, une autre manifestation du 22 se profile à l'horizon, en avril. Cette fois, les protestataires sont invités à marcher pour l'abolition du règlement municipal P-6, comme l'indique la page Facebook créée pour l'événement.