Le mouvement étudiant perd son porte-parole le plus visible et le plus pugnace. Gabriel Nadeau-Dubois a démissionné hier soir de son poste de co-porte-parole de la Coalition large de l'Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE).

«J'ai la conviction que la CLASSE a besoin de nouveaux visages», écrit-il.

Il dit quitter avec la tête haute alors que le mouvement étudiant «entre dans une nouvelle étape». Et il croit que le mouvement «historique» de contestation ne s'affaiblira pas. «Je ne suis pas et n'ai jamais été un chef. Par mon départ, je le démontrerai hors de tout doute». Il promet de continuer de s'impliquer à titre de simple militant.

Il prend le soin de souligner que même la défaite du Parti libéral aux prochaines élections ne permettra pas à elle seule de régler la crise. «Nous n'avons pas seulement contesté une hausse des frais de scolarité. Nous avons remis en question des institutions sclérosées et corrompues, qui avaient grand besoin de l'être et nous avons contesté le tout-à-l'économie des libéraux.»

Son seul regret: que Jean Charest n'ait pas encore été congédié par les Québécois. Il reste particulièrement amer du gag du premier ministre lors du sommet sur le Plan Nord à Montréal en avril dernier. Ses mots sont particulièrement durs. «À l'imagination de ma génération, il n'aura répondu que par la répression et le mépris. Devant une mobilisation généreuse et fondée sur des principes, il n'aura répondu que par des attaques personnelles et dégradantes. Depuis le début de notre grève, il n'a reculé devant aucun moyen pour nous briser, autant comme mouvement que comme personnes. La loi spéciale et la brutalité policière se sont doublés d'atteinte à la réputation, de filatures, de déni du droit d'expression, d'interrogatoires injustifiés par la police, d'attaques nominales à l'Assemblée nationale, de sous-entendus constants que notre organisation était à la frontière du terrorisme: tous les coups ont semblé permis, qu'importent les effets sur la jeunesse.»

M. Charest a fait preuve d'une «charge de violence inouïe», se plaint le porte-parole. Il dit avoir besoin de maintenant «prendre un répit de toutes ces attaques.»

«Société bloquée»

M. Nadeau-Dubois croit que M. Charest incarne «le symbole d'une société bloquée qui n'a comme aspiration que de s'abaisser au même niveau de bêtise que ses voisins.» Mais il se dit «sincèrement convaincu» que le Québec n'imitera pas le modèle américain ou canadien quant aux droits de scolarité et à la «marchandisation de nos vies.»

Il conclut avec cette mise en garde aux politiciens. «L'arrogance du pouvoir n'aura eu comme effet que de renforcer notre confiance en nous-mêmes. Les solidarités tissées au travers des nuages de gaz ne se délieront pas de sitôt. Les mains tendues ne se lâcheront pas. Et nous marcherons encore, pendant des années s'il le faut et bien au-delà cette grève, afin qu'un jour le peuple du Québec reprenne aux affairistes et  à l'argent les rênes de ce pays.»

Jean Charest ne commente pas

Le chef libéral Jean Charest n'a pas voulu commenter directement la démission de Gabriel Nadeau-Dubois. «Je ne fais pas campagne contre M. Nadeau-Dubois, ce n'est pas personnel. Je ne lui veux pas de tort à M. Nadeau-Dubois», a-t-il dit.

Questionné pour savoir s'il croit que ce départ démontre que le mouvement étudiant s'essouffle, Jean Charest a répondu qu'il « n'ose pas faire d'hypothèses là-dessus ». Mais il a ajouté : « Je pense qu'il y a des signaux encourageants dans les derniers jours que (la rentrée de la mi-août) va se faire correctement ».

Quant au contenu de la lettre de l'ex-représentant de la CLASSE, « je laisserai aux gens le soin de juger de ses propos », a dit M. Charest.

Marois salue Nadeau-Dubois

De passage dans Chicoutimi, la chef du Parti québécois a salué le travail de M. Nadeau-Dubois. «Il faut avoir du respect pour (lui). On peut ne pas être d'accord avec son point de vue et ses orientations. Mais il faut admettre qu'il a été capable de défendre son point de vue avec intelligence et audace. Parfois en exagérant un peu. Mais si on n'est pas capable d'exagérer à 20 ans, je pense qu'on risque d'être bien ennuyant à 60 ans», a-t-elle lancé.

Les «exagérations» du leader étudiant ont-elles contribué aux débordements lors de certaines manifestations? «Absolument pas, répond Mme Marois. Je crois que M. Nadeau-Dubois a, à de maintes occasions, dénoncé la violence et les excès qu'on a connus dans certaines manifestations.»

Ces «excès» ont été causés par des «quelques casseurs et voyous», ajoute-t-elle. «Et c'est dommage, on en conviendra.»

Peu d'opinions communes avec François Legault

Le chef de la Coalition avenir Québec (CAQ), François Legault, a pour sa part salué le départ de Gabriel Nadeau-Dubois, tout en soulignant qu'il partage peu d'opinions communes avec l'ex-leader de la CLASSE.

«C'est un jeune qui a beaucoup de talent, qui est très charismatique, a déclaré le chef caquiste. Je lui souhaite bonne chance, même si je ne suis pas du tout d'accord avec ses positions.»

-Avec Tommy Chouinard, Paul Journet et Martin Croteau

_________________________________________

La lettre de Gabriel Nadeau-Dubois

À tous ceux et celles qui se sont mobilisé-e-s ce printemps,

Aux membres de la CLASSE,

Cette lettre a pour but de vous informer que je quitte mes fonctions de co-porte-parole de la CLASSE. Après près de six mois de lutte à vos côtés, j'ai la conviction que la CLASSE a besoin de nouveaux visages. Après avoir participé à la tournée nationale de la Coalition aux quatre coins du Québec, je sais que notre lutte entre dans une nouvelle étape. Une étape qui nécessite un renouvellement : il est temps pour moi de tirer ma révérence. J'ai fait ma part comme porte-parole, il est maintenant temps que d'autres prennent la relève. Je quitte la tête haute, avec la conviction d'avoir fait mon devoir et d'avoir participé à un mouvement populaire historique. Je suis un étudiant, je suis un militant et c'est à ce titre que je continuerai dorénavant à faire avancer mes idéaux. La CLASSE, avec ou sans moi, continuera à accomplir de grandes choses: je ne suis pas et n'ai jamais été un chef. Par mon départ, je le démontrerai hors de tout doute.

Je quitte, mais le mouvement se poursuivra. Ce que je quitte, ce n'est pas la mobilisation, ni la lutte, ni la CLASSE : je quitte mon rôle de porte-parole. Je serai encore à vos côtés, dans la rue et dans les Assemblées. Je quitte avec le sentiment du devoir accompli, avec le sentiment d'avoir participer à la hauteur de mes capacités à construire cette magnifique mobilisation. La CLASSE a besoin de sang neuf et je sais qu'il y a parmi mes collègues des gens formidables, prêts et prêtes à reprendre le flambeau.

Cette décision n'est ni motivé par l'amertume, ni par le désespoir. Au contraire, je suis plus convaincu que jamais de la nécessité de poursuivre la mobilisation entreprise dans les six derniers mois. Le climat d'ébullition politique et sociale que nous avons contribué à mettre en place au Québec doit impérativement se poursuivre dans les prochains mois et les prochaines années. Les critiques soulevées par la jeunesse québécoise ce printemps sont beaucoup trop profondes pour être réglées par une campagne électorale de 35 jours. Nous avons posé de graves questions, et les élections ne pourront y répondre entièrement, même advenant la mise au rencart du gouvernement libéral. Nous n'avons pas seulement contesté une hausse des frais de scolarité. Nous avons remis en question des institutions sclérosées et corrompues, qui avaient grand besoin de l'être et nous avons contesté le tout-à-l'économie des libéraux.

Je quitte avec un seul regret. Je regrette de quitter mes fonctions alors que le Québec est toujours dirigé par Jean Charest, un premier ministre méprisant et violent envers le Québec et sa jeunesse. Gaz de schiste, corruption, Anticosti, Mont Orford, hausse des frais de scolarité, taxe-santé: la liste des tromperies, des mensonges, des scandales et des attaques à la population de ce gouvernement est trop longue.

Et lorsque la jeunesse s'est élevée contre ces absurdités, M. Charest n'a trouvé comme réponse que la dureté des matraques et l'acidité des lacrymogènes. À l'imagination de ma génération, il n'aura répondu que par la répression et le mépris. Devant une mobilisation généreuse et fondée sur des principes, il n'aura répondu que par des attaques personnelles et dégradantes. Depuis le début de notre grève, il n'a reculé devant aucun moyen pour nous briser, autant comme mouvement que comme personnes. La loi spéciale et la brutalité policière se sont doublés d'atteinte à la réputation, de filatures, de déni du droit d'expression, d'interrogatoires injustifiés par la police, d'attaques nominales à l'Assemblée nationale, de sous-entendus constants que notre organisation était à la frontière du terrorisme: tous les coups ont semblé permis, qu'importent les effets sur la jeunesse. Pour un premier ministre qui souhaite tellement que le mouvement étudiant dénonce la violence et l'intimidation, je trouve que Jean Charest a fait preuve à l'endroit des étudiants et à mon endroit, d'une charge de violence inouïe. J'ai maintenant besoin de prendre un répit loin de toutes ces attaques.

Ce manque de respect envers la jeunesse et ses porte-paroles n'a d'égal que le mépris généralisé du bien commun qui règne au Parti Libéral du Québec. Ce gouvernement n'a pas le droit de donner de leçon de démocratie: il est l'incarnation même de la corruption et du détournement des institutions publiques.

Ce premier ministre, au fond, n'est que le symbole d'une société bloquée qui n'a comme aspiration que de s'abaisser au même niveau de bêtise que ses voisins. Les universités américaines et ontariennes ne sont pas des exemples, pas plus que leur système de santé. Nous ne voulons pas suivre le chemin qu'elles indiquent et qui mène à la marchandisation de nos vies.

Heureusement, aujourd'hui, en écrivant ces lignes, je suis sincèrement convaincu que cela ne se produira pas. Cela ne se produira pas, car nous, membres de la jeunesse québécoise, savons maintenant ce que nous devons exiger de nous-mêmes. Cela ne se produira pas, parce que nous sommes des centaines de milliers, enfants de cette grève à se battre contre leur projet mortifère. Et nous ne nous refroidirons pas. L'arrogance du pouvoir n'aura eu comme effet que de renforcer notre confiance en nous-mêmes. Les solidarités tissées au travers des nuages de gaz ne se délieront pas de sitôt. Les mains tendues ne se lâcheront pas. Et nous marcherons encore, pendant des années s'il le faut et bien au-delà cette grève, afin qu'un jour le peuple du Québec reprenne aux affairistes et  à l'argent les rênes de ce pays.

Ensemble, bloquons la hausse.

Gabriel Nadeau-Dubois