Les enseignants voient arriver le mois d'août avec appréhension. Les cours du trimestre d'hiver doivent reprendre dans les cégeps et les universités touchés par la grève. C'est un véritable casse-tête de revoir les plans de cours sans réduire la formation des futurs diplômés - sans compter que personne ne sait si les cours pourront bel et bien redémarrer, puisque la menace de reprise de la grève étudiante plane toujours.

Les élèves et les étudiants sont les grands perdants du plan de rattrapage proposé pour sauver le trimestre d'hiver. En condensant la matière en quelques semaines seulement, entre la mi-août et la fin du mois de septembre, les enseignants craignent de devoir tourner les coins ronds.

Les premiers votes de grève ont été appliqués le 13 février. Lorsque les cours reprendront, au milieu du mois d'août, certains cégépiens n'auront pas mis les pieds en classe depuis six mois. Il sera difficile de reprendre les cours là où ils ont été arrêtés.

En vertu de la loi spéciale (78), le trimestre comptera 12 semaines au lieu des 16 habituelles. Dans les faits, les professeurs devront condenser leur plan de cours pour enseigner toute la matière entre la mi-août et la fin du mois de septembre, soit sept semaines au maximum.

«Il faut recommencer à zéro», affirme avec inquiétude Vincent Fortier, enseignant de philosophie et représentant syndical au Collège de Valleyfield, l'un des plus durement touchés par la grève.

Quoi qu'il en soit, les élèves devront maîtriser, à la fin de leurs cours, les compétences exigées par le ministère de l'Éducation. Il faudra donc abandonner certaines notions et optimiser le temps en classe. Au bout du compte, la qualité de la formation sera touchée.

«Donner une note de 60% à des étudiants parce qu'ils ont atteint la compétence, c'est une chose. Mais dans une situation normale, l'étudiant qui va atteindre 60% aurait eu 75 ou 80%. Il aurait été beaucoup plus compétent», tranche M. Fortier.

Comme plusieurs de ses collègues, il est choqué d'entendre des élus ou des administrateurs affirmer que les diplômes auront la même valeur que ceux des autres cohortes. Ce ne sera pas le cas, selon lui.

Le trimestre d'automne, qui commencera en octobre, sera également amputé de quelques semaines. La plupart des cégeps ont prévu un calendrier de 13 semaines.

Un élève qui n'aurait pas assimilé une notion de base parce qu'elle aura été vue trop rapidement risque de traîner cette lacune pendant toute la durée de sa formation. Dans certaines disciplines comme les sciences ou la comptabilité, l'impact risque d'être important.

«Le trimestre d'hiver va encore être au rabais. Ces jeunes vont être handicapés beaucoup», croit d'ailleurs Chantal Malouin, enseignante en techniques administratives au Collège de Valleyfield.

Un véritable marathon se dessine pour les élèves, convient la présidente de la Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec (FNEEQ), Caroline Senneville. «Ce sera au professeur de distinguer le plus essentiel du moins essentiel et du superflu, mais c'est sûr qu'il y a des coins qui vont être tournés plus ronds.»

La situation risque d'être encore plus difficile pour les jeunes qui arrivent du secondaire. C'est en effet au premier trimestre qu'on compte le plus d'abandons, précise-t-elle. «Le passage du secondaire au collégial est quelque chose de délicat. [...] Je suis sûre qu'il va y avoir des séquelles pédagogiques.»

Enseignante de français au cégep de Saint-Jérôme, Chantale Savard a travaillé avec les collègues de son département au cours des dernières semaines pour trouver une façon de réduire le temps de formation de près de 14 heures, tout en limitant les dommages.

Par exemple, l'exposé oral obligatoire sera transformé en table ronde, et certaines dissertations pourront être rédigées à la maison. Malgré les ajustements, ce ne sera pas la même chose.

«Il ne faut pas se faire d'illusions: 14 heures de cours de moins, c'est 14 heures de moins. Je dois respecter les devis malgré tout», affirme Mme Savard, qui refuse cependant de parler de «diplôme au rabais».

La Fédération des cégeps se fait pour sa part rassurante. Les enseignants offriront davantage de tutorat aux élèves qui éprouvent certaines difficultés. On augmentera le nombre de laboratoires, et les lectures et travaux à faire à la maison seront plus nombreux pour compenser les heures perdues en classe.

«Il y a des solutions qu'on met de l'avant, qui ne nous amèneront jamais dans la situation idéale, mais c'est suffisamment atteignable comme valeur pédagogique», affirme Jean Beauchesne, président et directeur général de la Fédération.

Certains cégeps ont choisi d'allonger les journées de cours jusqu'à 20 h. D'autres pourraient donner des cours le week-end. La semaine de lecture (semaine sans cours) a aussi été abolie.

«Le plus gros problème, c'est que les jeunes vont être crevés», signale Chantal Malouin, enseignante en techniques administratives au Collège de Valleyfield. Elle souligne également que plusieurs cégépiens n'ont pas le choix de travailler à temps partiel pour payer leurs études. Ils manqueront alors de temps et s'épuiseront.

Chaque trimestre, les enseignants voient surgir dans leurs bureaux des élèves en pleurs, complètement épuisés, raconte Mme Malouin. Cette fois, ils feront pratiquement trois trimestres en un an. «On les brûle en partant, et les professeurs aussi.»