Les Québécois sont profondément partagés à l'égard de la loi d'exception adoptée la semaine dernière. Ils croient que cette loi ne réglera rien, mais ils en approuvent pourtant le contenu. Une mince majorité de Québécois, 51%, appuie l'adoption de la loi spéciale, mais une forte majorité de répondants se range derrière la quasi-totalité de ses dispositions.

Depuis une semaine, les Québécois sont devenus plus hésitants à l'égard de la loi spéciale, dépeinte par bien des commentateurs comme une atteinte aux libertés fondamentales. Dans un sondage réalisé auprès de 1500 internautes du 22 au 25 mai, la maison CROP a fait le suivi pour La Presse des constats d'une précédente enquête, réalisée à chaud au moment du dépôt du projet de loi 78, la semaine dernière. CROP avait alors observé que les Québécois étaient massivement, à 66%, en faveur d'une loi spéciale.

Après une semaine de manifestations et les arrestations massives, ils sont plus tièdes - 51% des gens appuient la loi spéciale et 49% la réprouvent. L'appui à la loi d'exception atteint cependant 62% à Québec, 57% chez les plus de 55 ans et 71% chez les anglophones. En revanche, 56% des moins de 34 ans, 53% des francophones et 51% des Montréalais s'y opposent.

Cependant, les Québécois approuvent clairement les dispositions de cette loi. À l'exception des amendes très salées, l'ensemble des mesures, y compris celle sur l'encadrement des manifestations, obtient un appui non équivoque. Selon Youri Rivest, vice-président de la maison de sondage, «c'est comme si les consommateurs aimaient le produit, mais désapprouvaient le vendeur», une observation lourde de sens pour la stratégie de communication du gouvernement Charest.

Ainsi, 67% des répondants sont d'accord pour la suspension des cours dans les institutions visées par le boycottage et leur reprise à la mi-août. Aussi, 70% sont favorables à ce que Québec empêche les manifestants de bloquer l'accès aux cours et 64% approuvent l'idée que les manifestations ne s'approchent pas à moins de 50 mètres du terrain d'un cégep ou d'une université.

Pas moins de 70% des gens sont d'accord pour que les organisateurs des manifestations soient tenus de transmettre les détails de leur action à la police huit heures à l'avance. Encore 72% des gens estiment légitime que la police puisse refuser un itinéraire de manifestation pour protéger la sécurité publique.

Seule exception, les très lourdes amendes, de 1000$ à 125 000$ par jour pour un manifestant ou son organisation, ont un accueil plus mitigé. Ici, on se partage en deux camps égaux à 50%.

La loi ne réglera rien

Toutefois, la loi ne réglera rien, croit une forte proportion de répondants. Il y a une semaine, 32% des gens pensaient qu'elle contribuerait à régler le conflit, on n'en trouve plus que 20% maintenant. Pour 44% des Québécois, Québec va empirer les choses avec sa loi - 32% étaient de cet avis la semaine dernière. Un seul chiffre n'a pas changé: 36% des répondants estiment que la loi ne fait que repousser à plus tard le litige sur les droits de scolarité.

Dans la même veine, dans un sondage réalisé aux mêmes dates par CROP pour le compte de Radio-Canada auprès de 1000 répondants, et rendu public hier, 60% des Québécois estimaient que la loi 78 ne parviendrait pas à ramener la paix sociale.

Mais dans notre sondage, devant le débat qui fait rage depuis une semaine, 52% des répondants estiment que la loi ne brime pas les libertés fondamentales. Selon 48% des gens, ces droits sont attaqués, dont 57% des jeunes et 52% des Montréalais.

Pour les Québécois, la sortie de crise passe par une reprise des négociations: 79% des répondants veulent que Québec et les étudiants reprennent le dialogue. Quelque 47% souhaitent qu'ils le fassent sans que la loi spéciale soit suspendue. Selon 32% des gens, la loi spéciale devrait être suspendue pendant ces pourparlers. Seulement 14% préconisent un moratoire sur la hausse, et 7% prônent son abandon complet.

L'appui au gouvernement diminue

Sur le fond, les Québécois appuient toujours le gouvernement. Plus des deux tiers appuient la position du gouvernement de hausser les droits de scolarité, et 32% soutiennent celle des étudiants qui préconisent le gel. Il y a une semaine, à la même question, 68% des répondants appuyaient Québec contre 32% pour les étudiants.

Un peu partout, CROP observe ce déplacement de quelques points en faveur des étudiants. La semaine dernière, 35% des gens jugeaient «l'attitude» des étudiants dans ce conflit justifiée - on atteint désormais 40%. Inversement, l'attitude de Québec était cautionnée par 60% des internautes, et 51% restent encore favorables à Québec.

Pour le gouvernement Charest, toute cette opération aura été «un échec de communication politique», résume Youri Rivest. Québec a perdu la bataille de l'opinion publique, échoué à vendre sa loi comme une réponse mesurée adaptée aux circonstances. À bien des égards, toute la semaine, la position des étudiants a gagné du terrain auprès de la population.

Au fil du sondage, les clivages demeurent partout les mêmes depuis une semaine. À Québec, on appuie toujours massivement la stratégie du gouvernement. L'appui aux étudiants diminue avec l'âge des répondants. Les anglophones et les allophones sont aussi plus clairement derrière la stratégie de Jean Charest.

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L'ABC DES SONDAGES

La parution de notre sondage, samedi dernier, a amené de nombreux lecteurs à nous adresser des questions sur la façon dont les sondages publiés dans La Presse sont réalisés. Avec l'aide du président de la firme CROP, Alain Giguère, nous répondons ici à toutes vos interrogations.

Pourquoi les sondages publiés dans La Presse sont-ils faits par internet plutôt que par téléphone?

Il y a 30 ans, le taux de réponse des sondeurs qui joignaient les Québécois par téléphone tournait autour de 85%. Aujourd'hui, ce taux de réponse a diminué de façon draconienne. Il se situe autour de 15%. Le phénomène n'est pas propre au Québec. Il est mondial. Pour réaliser un sondage d'une dizaine de minutes à 1000 répondants, les maisons de sondage doivent aujourd'hui prendre contact avec près de 7000 personnes. C'est énorme. Cela représente le travail de 20 téléphonistes, qui s'étalerait sur 12 jours. C'est très coûteux. Toutes les maisons de sondage, sans exception, se sont donc tournées vers l'internet. Les sondages téléphoniques existent toujours, mais ils constituent une portion de plus en plus congrue du travail des sondeurs.

Comment réalise-t-on un sondage internet?

La maison CROP dispose d'un panel de 400 000 Canadiens, dont 175 000 Québécois. Ce panel a été constitué par des firmes spécialisées, de réputation internationale. Contrairement à d'autres sondeurs, qui ont formé des panels maison, CROP a préféré s'en remettre à des spécialistes de la question. Ces firmes ont donc utilisé des listes d'internautes, récoltées à l'aide de logiciels. On a ensuite sollicité, au hasard, plusieurs d'entre eux. Certains internautes ont accepté de participer au panel. Ils sont rétribués pour le faire, de 1$ à 10$ l'enquête, selon la longueur du questionnaire.

Le profil socio-démographique de ces internautes est ensuite établi par CROP. Âge, sexe, revenus, valeurs. Ensuite, ce panel initial est ajusté par CROP de façon à reproduire la population québécoise avec la plus grande exactitude, telle qu'elle apparaît dans les chiffres de Statistique Canada. La banque de données finale reflète donc fidèlement l'image de la population. Une fois par an, CROP réalise le même sondage au téléphone et sur le web, pour s'assurer que la calibration du panel est toujours valide.

Les sondages réalisés par internet par les firmes de sondage sont donc à des années-lumière des «sondages éclair» réalisés par les sites de nouvelles, par exemple, où l'échantillon ne prétend pas refléter la population. Un sondage réalisé par CROP avec 1000 répondants reflétera davantage l'avis général des Québécois qu'un «sondage maison» réalisé sur les sites web auquel 10 000 personnes auraient répondu.

Pourquoi les sondages réalisés par internet ne comportent-ils pas de marge d'erreur?

Aucun sondage réalisé par internet n'a de marge d'erreur. C'est vrai pour CROP, c'est vrai pour tous ses concurrents québécois, canadiens et internationaux. Prétendre afficher une marge d'erreur pour un sondage internet est carrément mensonger. Pourquoi? Parce que l'échantillon utilisé pour sonder n'a pas été établi avec le hasard le plus total. Il y a 30 ans, les bottins téléphoniques constituaient une banque de noms exhaustive de la population québécoise pour les maisons de sondage, qui faisaient leur choix au hasard dans cette immense liste. La probabilité d'être sélectionné pour un sondage était donc exactement la même pour tous les Québécois. C'est pourquoi on dit que ces sondages étaient probabilistes.

Cette situation a changé avec les sondages web. Premièrement, certaines personnes n'ont pas l'internet. Deuxièmement, personne ne possède la liste de tous les courriels du pays. Certaines personnes ne courent donc aucune chance d'être recrutées. L'échantillon n'est plus probabiliste. Et dans ce cas, les lois de la statistique ne permettent pas d'afficher de marge d'erreur.

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Ce sondage que vous découvrez aujourd'hui a été réalisé du 22 au 25 mai inclusivement. Au moment où nous avons commencé l'étude, la loi spéciale était adoptée depuis quatre jours. Nous avons récolté les opinions de 1500 répondants. C'est près de deux fois plus de personnes sondées que notre dernier sondage et 30% de plus que le sondage publié mardi dans les pages du Journal de Montréal. Nous publions aujourd'hui l'intégralité de notre sondage sur le web.

Merci de nous lire et de nous faire confiance.

Voir le document PDF du sondage (1,2 Mo)