Déjà complètement désarçonné par la vive réaction à sa loi sur le contrôle des manifestations étudiantes, le gouvernement Charest l'a échappé belle. La loi spéciale qu'il envisageait à l'origine était encore plus dure.

La Presse a appris de plusieurs sources que les intentions du gouvernement ont été considérablement modifiées après les deux longues séances du Conseil des ministres, mercredi et jeudi derniers, qui ont précédé le dépôt du projet de loi, jeudi soir. Les ministres ont reçu une version écrite du projet de loi 78 jeudi, mais des mesures plus draconiennes encore avaient déjà été soupesées au Conseil des ministres et au comité des priorités.

D'abord, le gouvernement Charest voulait ajouter dans son projet une disposition empêchant les manifestants de porter des masques, une demande pressante des policiers. On l'a mise de côté devant l'intention de l'administration de Gérald Tremblay, à Montréal, d'adopter un tel règlement. «On ne prendra pas 14 marteaux pour taper le même clou», a expliqué hier une source très proche de ces réflexions. À l'origine, «il y avait encore plus de mesures d'encadrement pour les manifestations», a confié un témoin des discussions.

De plus, dans son plan, Québec ne prévoyait pas de clause «crépusculaire», alors que la loi telle qu'adoptée cesse d'être en vigueur à compter du 1er juillet 2013. Hier, le ministre de la Sécurité publique, Robert Dutil, a confirmé à mots couverts que cette disposition avait été ajoutée sur le tard. «C'est une des recommandations de nos légistes pour justement rendre la loi plus acceptable sur le plan des droits et libertés.»

Une autre disposition envisagée un moment par Québec aurait permis de procéder à la désaccréditation des associations étudiantes proposant des débrayages illégaux. On a plutôt opté pour une autre mesure sévère, la fin du versement des cotisations. Intéressante à première vue, l'option de la «désaffiliation» comportait une conséquence embarrassante: au lendemain de l'adoption de cette loi, le gouvernement se serait retrouvé sans interlocuteur légitime. En écartant l'avenue de la révocation d'accréditation, on a retenu l'approche appliquée dans les dernières lois spéciales.

Jusqu'à l'adoption de la loi 78, Québec avait toujours retenu les services d'avocats du secteur privé pour ses lois spéciales. Celle-ci a été préparée uniquement au conseil exécutif par Me Louis Sormany, sous-ministre responsable de la législation, une première. C'est d'ailleurs deux lois spéciales plutôt qu'une seule qui avaient été soumises au comité de législation. La première portait sur la suspension des trimestres, la seconde touchait les questions de sécurité publique. Pour éviter deux bâillons à l'Assemblée nationale et surtout tenter d'enfouir les dispositions plus controversées sous les articles traitant d'éducation, on a fusionné les deux projets. Le résultat est une loi appliquée par la ministre de l'Éducation, mais dont une section relève de son collègue à la Sécurité publique. Une loi bicéphale, donc, ce qui est plutôt inusité.

Beaucoup de faucons... guère de colombes

En interrogeant des sources au sein du gouvernement, on peut constater qu'il y avait pas mal plus de faucons que de colombes autour de la table du Conseil des ministres, la semaine dernière. «Le projet de loi est tough, mais moins que ne l'auraient souhaité certains», a résumé l'un des protagonistes, rare partisan de la ligne modérée.

Parmi les tenants de la ligne dure figure Raymond Bachand, responsable de Montréal, qui est soumis à des pressions importantes des commerçants, des restaurateurs, des hôteliers et surtout des organisateurs de festivals, dont son ami Gilbert Rozon, tous unanimement inquiets des répercussions des manifestations à répétition. «Pour lui, Montréal frôle la catastrophe économique», a résumé un observateur.

Avec lui, on trouve une longue liste de partisans de la ligne dure. Michelle Courchesne, réticente, mais qui savait qu'elle aurait à aller de l'avant avec la loi dès lors qu'elle acceptait l'Éducation. Line Beauchamp a quitté le gouvernement pour cette raison précise; elle savait qu'avec l'échec de son ultime tentative, la loi spéciale, déjà dans les cartons, était désormais incontournable aux yeux du patron Jean Charest. Elle quittera bientôt le Québec pour l'Afrique, pour retrouver sa soeur, a-t-on appris.

D'autres partisans de la ligne dure? Clément Gignac, Sam Hamad, Jean-Marc Fournier, Laurent Lessard, Lise Thériault aussi, galvanisée par un certain succès avec des mesures musclées en construction.

D'autres sont intervenus en faveur de la loi, «ont dit qu'il fallait faire quelque chose», tout en étant personnellement moins profondément convaincus. Me Pierre Moreau, par exemple - sa conjointe est juge, lui-même est avocat jusqu'au bout des doigts, «et un juriste ne peut prétendre que c'est une bonne loi», a confié un collègue. Robert Dutil est, par sa fonction, le défenseur de la loi et l'ordre, mais, personnellement, il est plutôt centriste. Yvon Vallières aussi est un modéré, mais comme bien des ministres de l'extérieur de Montréal, il ne comprend pas le mouvement de protestation qui s'est emparé de la métropole, et trouve urgent d'y mettre fin, confie-t-on.

Parmi les ministres moins enthousiastes à l'égard de la loi spéciale, on trouve Julie Boulet, Yolande James, Marguerite Blais et Geoffrey Kelley, mais il semble que ce camp moins déterminé n'a pas mis beaucoup d'énergie pour freiner le clan des «faucons» qui dominait clairement autour de la table du Conseil.