Chaque semaine, Nathalie Collard rencontre une personnalité qui s'est retrouvée au premier plan médiatique et lui pose 10 questions en lien avec la couverture dont elle a été l'objet. La 11e question provient du public. Cette semaine, notre journaliste s'est entretenue avec Monique Laurin, directrice du collège Lionel-Groulx, où la Sûreté du Québec a dû intervenir mardi dernier dans le contexte de la grève étudiante.

1 Que retenez-vous de votre semaine?

L'événement de mardi et ses suites, bien sûr. Depuis le vendredi précédent, j'intervenais auprès des étudiants dans une relation polie et très correcte. Le lundi, je leur ai dit: «Faites-moi une proposition. Est-ce qu'on peut laisser entrer les finissants, par exemple (car la pression vient surtout d'eux)?» Mais ce n'était pas possible. Vous comprenez que nous, les chefs d'établissement, sommes menacés d'outrage au tribunal si nous ne respectons pas les injonctions. J'ai donc dû faire appel à la police... Le collège est dans une petite municipalité calme, les gens ne sont pas habitués à ce genre de scène, qui a marqué la mémoire de tous, citoyens et membres du personnel du collège. Ce qui me fait dire que cette mesure n'a pas de sens. Je souhaite que tout le monde retourne en classe, mais pas comme ça.

2 Pourquoi avoir fermé le collège durant trois jours, après l'incident?

D'une part, nous avions fait la preuve que l'injonction n'avait pas donné le résultat voulu; d'autre part, parce qu'il fallait recoller les pots cassés, parler aux étudiants des deux factions ainsi qu'aux enseignants. Hier, au collège, il y a eu une rencontre entre les rouges et les verts qui a duré une heure et demie. Il y en aura une autre. Les jeunes vont devoir revenir en classe, se côtoyer... C'est tellement important de renouer! Nous avons également parlé avec le syndicat des enseignants, qui ont été heurtés par la présence policière. Je ne veux pas d'autre manifestation devant nos portes. Mon objectif est d'éviter l'affrontement entre verts et rouges.

3 Que dites-vous à ceux qui estiment que vous avez privilégié vos étudiants en grève au détriment de ceux qui souhaitaient retourner en classe?

Les verts (contre la grève) ont eu beaucoup de mal à se manifester auprès de nous et à s'organiser. Cela s'est fait dans les derniers jours. À partir du moment où ils l'ont fait et qu'on connaissait leurs noms, nous les avons encadrés et nous avons parlé à leurs parents.

4 Qu'auriez-vous pu faire différemment pour leur permettre de rentrer en classe?

Ils sont entrés en classe en fin de matinée mardi, mais il n'y a pas eu d'activité d'enseignement, seulement des rencontres. Cela dit, je n'aurais rien pu faire de différent. Si la Sûreté du Québec est venue, c'est parce qu'on a été incapables de s'entendre avec les étudiants en grève, contrairement à d'autres collèges.

5 Comprenez-vous le malaise de certains à voir des enseignants arborer le carré rouge?

Oui. Moi aussi, j'ai ressenti un malaise quand je les ai vus s'interposer, mardi dernier. Mon malaise vient surtout du fait que les verts les ont vus. Ces élèves vont retourner en classe avec eux. C'est pour ça qu'il fallait un temps d'arrêt. J'ai bon espoir que, lorsque les enseignants auront tous les élèves devant eux en classe, il n'y aura plus de couleur... Avant d'enseigner, ils vont devoir engager un dialogue pour rappeler aux élèves qu'ils sont là pour enseigner à tous. Cela dit, ce ne sont pas tous les professeurs qui sont engagés dans ce débat, il ne faut pas généraliser. Ils sont une trentaine sur plus de 400.

6 Ne serait-il pas préférable que les enseignants, lorsqu'ils sont entre les murs de l'école, demeurent neutres dans un conflit comme celui-ci?

Tout à fait. Mais ce conflit a duré trop longtemps, le mouvement a pris de l'ampleur et la cause a été portée par tout le monde: parents, enseignants, etc. Les gens de la SQ nous ont confié que, mardi, cela a été plus compliqué avec les enseignants qu'avec les élèves...

7 Vous avez dit cette semaine que le gouvernement vous avait placée dans une situation odieuse. Que vouliez-vous dire?

On nous a mis entre les mains ce mauvais outil - les injonctions -, et on ne s'est pas soucié des conséquences qu'aurait sa mise en oeuvre pour nous. C'est cela que je trouve odieux. Je comprends qu'on demande le respect des injonctions, mais je crois qu'on aurait dû interdire ce recours dès le départ.

Ce n'est pas le bon outil. Ça crée un climat de travail extrêmement tendu. Mardi, les gens étaient furieux. Je disais: «Ils vont sûrement vouloir me dévisser la tête, et je comprends.» J'ai exécuté cette injonction contre ma volonté personnelle, il faut le dire. Je le faisais parce que je ne voulais pas placer mon collège en situation d'outrage au tribunal.

8 La loi spéciale qui est débattue au moment où on se parle va-t-elle aider les collèges ou vous compliquer la vie?

Je l'ai lue rapidement et je me suis arrêtée davantage aux aspects du calendrier scolaire: on remet entre les mains du directeur général des décisions très importantes, mais au moins on est dans le cadre de nos responsabilités. Pour le reste... On demande entre autres choses de faire rapport à la ministre si le personnel ne respecte pas la loi. Je trouve ça très difficile. C'est un peu comme si on nous demandait de dénoncer. Il faudra qu'on m'explique ce qu'on attend de nous exactement mais, à première vue, je ne pense pas que cela aide au climat de travail.

9  Qu'avez-vous envie de dire aujourd'hui à vos élèves et à leurs parents?

Que le collège Lionel-Groulx souhaite recevoir tous les élèves dans un climat sain. Et que le collège fait et fera tout ce qui est nécessaire pour que les jeunes qui souhaitent poursuivre leur trimestre puissent le faire dans un climat sain. Nous allons offrir un soutien aux élèves et au personnel. Le collège a toujours fait les choses adéquatement et on va continuer. La loi sera appliquée avec le plus de discernement possible.

10 Avez-vous encore confiance dans le ministère de l'Éducation?

Il faut faire la distinction entre l'administratif et le politique. Nous travaillons beaucoup avec l'appareil ministériel et nous continuons de faire confiance à ces gens. Sur le plan politique, il faudra bien que je leur fasse confiance, c'est avec eux que je travaille. J'ai travaillé avec Mme Courchesne; je vous dirais que, avec son franc-parler, elle a fait beaucoup de travail avec l'enseignement supérieur. Mme Beauchamp aussi. Je pense que les décisions ne viennent pas tant du Ministère que du politique et du Conseil des ministres. Je ne voudrais pas qu'on brûle tout le monde.

10 + 1 Accepteriez-vous encore aujourd'hui d'être candidate du PLQ comme en 2008?

(sourire) Je ne pense pas que le Parti libéral souhaiterait me voir dans ses rangs avec les propos que j'ai tenus... Non, je ne pense pas. Au moment où cela s'est fait, je voulais vraiment changer les choses. Ça ne s'est pas fait, je suis revenue à mon rôle et à ma fonction, et je suis très heureuse dans ce que je fais maintenant.