Le gouvernement Charest a opté pour la ligne dure, très dure. Son projet de loi spéciale pour soumettre le mouvement de contestation des étudiants prévoit de sévères amendes pour ceux qui voudraient bloquer l'accès aux cégeps et aux universités. Mais Québec réservait une surprise de taille: par la même occasion, sa loi lui permettra désormais de contrôler très étroitement toutes les manifestations, afin de «préserver la paix, l'ordre et la sécurité publique».

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Avec sa loi d'exception, Québec va jusqu'à circonscrire le droit de manifester, des dispositions que n'avait pas laissé entrevoir le gouvernement jusqu'ici. On prévoit que les organisateurs d'une manifestation de plus de 10 personnes devront, 8 heures à l'avance, communiquer leur itinéraire, la durée de leur rassemblement et les moyens de transport qui seront utilisés pour s'y rendre.

Même ceux qui, sans l'avoir organisée, y participent doivent s'assurer qu'elle correspond aux renseignements fournis à la police. Celle-ci pourra même «ordonner un changement de lieu ou la modification de l'itinéraire projeté», et l'organisation devra s'y conformer, prévoit le projet de loi. La loi cessera d'avoir effet au plus tard le 1er juillet 2013. Certains experts consultés par La Presse estiment que ces dispositions ne toucheront que l'actuel conflit avec les étudiants.

«État policier»

En réaction, la chef péquiste, Pauline Marois, a soutenu que Québec «avait choisi une voie inique, ignoble». Le gouvernement, selon elle, «a perdu la raison, il est en déroute et a choisi le pire moyen: provoquer les étudiants».

Les leaders étudiants ont été estomaqués devant ces intentions. Le représentant des cégépiens, Léo Bureau-Blouin, estime que ces dispositions sont celles d'un «état policier» qui fait fi des libertés fondamentales.

Selon Amir Khadir, de Québec solidaire, il s'agit d'une «loi matraque» ; une loi «honteuse, digne d'un État totalitaire», a renchéri Pierre Curzi.

Le court projet de loi - 36 articles - devrait être adopté aujourd'hui, dans l'après-midi, après toute une nuit de débat à l'Assemblée nationale. Dans une atmosphère fébrile, en soirée, Pauline Marois et Jean Charest ont eu un autre échange acrimonieux juste avant que Québec abatte ses cartes.

Quand M. Charest a, une fois de plus, relevé que Mme Marois portait le carré rouge, elle a répliqué: «Le premier ministre portera le carré de la honte toute sa vie. Comment un homme qui a plongé le Québec dans la corruption peut-il se permettre de faire des leçons?» Jean Charest a qualifié sa sortie d'«hyperpartisane», l'attaque d'une politicienne «qui n'est pas à la hauteur de sa tâche».

«Insurrection»

Les libéraux étaient sur le pied de guerre: le ministre Clément Gignac a même parlé d'insurrection: «Ce ne sont pas les leaders étudiants ou syndicaux qui vont gouverner le Québec. Si vous voulez gouverner le Québec, mettez votre face sur un poteau et faites-vous élire. En démocratie, si on veut renverser le gouvernement, ce n'est pas dans le cadre d'une insurrection, mais d'une élection!»

Tout de suite après la présentation du projet de loi 78, les débats ont déraillé. Une alerte à la bombe a forcé la sécurité à faire des vérifications d'urgence, mais on n'est pas allé jusqu'à demander aux députés d'évacuer les lieux.

Amendes

Le gouvernement, comme prévu, veut empêcher que l'on bloque l'accès aux établissements d'enseignement. Sa loi remplacera la série d'injonctions - disparates et souvent défiées - qui visaient à assurer la reprise des cours. Les manifestations seront interdites dans les établissements et à moins de 50 m autour de leurs bâtiments. «Nul ne peut [...] entraver le droit d'un étudiant de recevoir l'enseignement dispensé par l'établissement qu'il fréquente», insiste la loi.

On prévoit de très lourdes amendes pour les contrevenants. Pour un individu, les sanctions sont de 1000$ à 5000$ pour chaque jour d'infraction. Pour les organisateurs, un employé ou un porte-parole d'association étudiante, l'amende s'élèvera de 7000$ à 35 000$ par jour. Les associations recevront des amendes de 25 000$ à 125 000$ par jour.

Pour toutes ces infractions, les amendes doubleront en cas de récidive. On prévoit que «quiconque» incite ou encourage une autre personne à commettre une infraction visée par cette loi est aussi passible des amendes prévues.

Le projet de loi précise que rien n'entrave le droit de grève des professeurs ou des employés des établissements, conformément au Code du travail. En revanche, il est interdit à leurs syndicats, à leurs représentants et même à leurs membres de participer à des moyens de pression liés au conflit avec les étudiants.

Comme on s'y attendait, le projet de loi prévoit aussi que le trimestre peut être suspendu et repris en août dans les établissements ou les facultés qui ont été paralysés par les débrayages.

Le chef caquiste François Legault estime que le projet de loi soulève bien des questions. Certaines dispositions laissent croire que l'État accordera des «diplômes au rabais» en écourtant les trimestres d'hiver et d'automne, selon lui. Il n'a pas voulu dire si ses députés allaient appuyer le gouvernement, en situation précaire à cause de sa bien courte majorité (63 sièges contre 59).

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