Après trois mois de grève, la mobilisation du début cède la place au découragement pour bon nombre d'élèves et d'étudiants. De moins en moins de participants se présentent aux assemblées générales. Plusieurs mettent une croix sur leur trimestre, préférant sauver leur emploi d'été. Ils attendent la fin du conflit, tout simplement.

Pendant que certains étudiants jettent l'éponge, souhaitant l'annulation de leur trimestre pour mettre fin à la grève, des assemblées générales de reconduction de vote donnent lieu à des pratiques douteuses.

Les discussions qui semblent dans un cul-de-sac avec le gouvernement se répercutent dans les assemblées générales. Une recension effectuée par La Presse auprès d'une vingtaine d'associations étudiantes révèle que le taux de participation aux assemblées générales a chuté au cours des dernières semaines à plusieurs endroits.

Les étudiants qui s'opposent à la grève sont particulièrement absents. Depuis le début du conflit, les «rouges», les étudiants et élèves en faveur de la grève, sont beaucoup plus visibles sur la place publique que les «verts», ceux qui s'y opposent.

Co-porte-parole de la Coalition large de l'Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE), Gabriel Nadeau-Dubois ne croit pas à l'existence d'une «majorité silencieuse» opposée à la grève.

«Je ne l'ai jamais vue, ni dans les assemblées ni dans la rue. S'il y en avait une, il me semble qu'on commencerait à la voir», dit-il.

Le problème, c'est que les «verts» ne participent pas aux assemblées, reconnaît Mathieu Dion, opposé à la grève. «Il y a un problème dès le départ: la plupart des gens qui viennent voter sont des rouges.»

Ce cégépien de 17 ans étudie au collège de Valleyfield. Il souhaite faire entendre la voix des «verts» dans le débat. Il a d'ailleurs organisé des manifestations contre la grève au cours des derniers jours.

Travailler plutôt qu'aller voter

Après trois mois de conflit, M. Dion affirme que les étudiants opposés à la grève ont fait une croix sur leur trimestre. Ils délaissent les assemblées générales pour travailler. «Les rouges n'ont pas d'emploi», soutient le cégépien.

Les «verts» ont l'impression de perdre leur temps dans les assemblées, ajoute-t-il. Le président de l'assemblée est souvent favorable à la cause des grévistes, les débats s'éternisent pendant des heures et les étudiants qui souhaitent un retour en classe sont victimes d'intimidation parce que les salles sont remplies de «rouges».

Michel Grant, professeur en relations industrielles à l'Université du Québec à Montréal, a du mal à expliquer pourquoi les étudiants opposés à la grève ne se rendent pas voter.

«Je ne crois pas à l'intimidation. C'est sûr que ça prend un certain courage d'aller au micro et de s'exprimer, mais c'est le cas dans n'importe quelle assemblée délibérante. Au moins, qu'ils aillent en masse et qu'ils votent.»

Reste que le taux de participation est en baisse depuis quelques semaines, tant du côté des verts que des rouges, reconnaît Valérie Morin, responsable des affaires externes à l'Association générale des étudiants de la faculté d'éducation de l'Université de Sherbrooke.

Avec le conflit qui s'éternise et l'été qui pointe le nez, les étudiants doivent retourner dans leur famille ou occuper un emploi d'été. À Sherbrooke, une forte proportion des étudiants provient de l'extérieur de la ville.

«C'est vrai que le campus est un peu déserté, mais l'intensité ne baisse pas», affirme Mme Morin.

Gabrielle Sylvestre, coordonnatrice générale du syndicat étudiant du collège Marie-Victorin, reconnaît qu'il est difficile d'amener les cégépiens aux assemblées, surtout ceux qui sont opposés à la grève.

«C'est une responsabilité dans la vie d'un collège» que de prendre part à la démocratie étudiante, dit-elle. «C'est vrai qu'on devrait les voir plus, les entendre au micro, mais on ne peut pas aller les chercher chez eux.»

Pourtant, il semble que l'information sur la tenue des assemblées générales circule. Des cégeps et des universités l'affichent sur leur site internet, et des courriels sont envoyés aux étudiants.

Olivier Melançon, secrétaire général de l'association étudiante du cégep Édouard-Montpetit, ajoute que les votes se font dans les règles, même s'ils se font à main levée. La salle est divisée en sections. Un professeur, un élève des «rouges» et un des «verts» ont la responsabilité de compter les votes de leur section. Ils recomptent tant qu'ils n'arrivent pas à un consensus.

Procédures douteuses

Malgré tout, des pratiques douteuses semblent avoir cours. Quelque 120 000 des 160 000 cégépiens et étudiants en grève ne se prononcent plus sur la reconduction de la grève tant que certaines conditions ne sont pas remplies, par exemple le retour au gel des droits de scolarité.

Dans certaines associations, les étudiants qui souhaitent un nouveau vote doivent déposer un avis de motion qui sera débattu la semaine suivante. Il doit être adopté par les deux tiers de l'assemblée. Pourtant, il suffisait d'une majorité simple (50% plus 1) pour voter la grève au départ.

C'est le cas notamment au collège Marie-Victorin, au cégep de Saint-Laurent, au cégep du Vieux Montréal et à la faculté des lettres et des sciences humaines de l'Université de Sherbrooke, pour n'en nommer que quelques-uns. Ces associations sont parmi les premières à avoir déclenché la grève.

La procédure des deux tiers est une erreur, reconnaît le co-porte-parole de la CLASSE, Gabriel Nadeau-Dubois.

«S'il y a eu à des endroits des gens qui ont demandé des votes aux deux tiers, c'est une erreur d'interprétation des procédures. C'est une mauvaise analyse.»

Selon le professeur Michel Grant, cette règle mine la crédibilité des votes de grève. «Je suis inconfortable sur le plan du fonctionnement. Où est la crédibilité de la grève si le taux de participation est de 20 ou 30% et qu'en plus, il y a cet élément qui permet au tiers des gens plus un d'empêcher la reconsidération du vote?»

L'exécutif de l'association étudiante du collège de Maisonneuve a reconnu récemment s'être trompé en agissant de la sorte. Un nouveau vote de grève s'est tenu vendredi. La grève a été reconduite par 1035 voix contre 540.