Sa mère la décrit comme une fille réservée, tranquille, sage. Le contraire d'une fonceuse. Pourtant, depuis 10 semaines, elle tient à bout de bras une grève qui met les universités et les cégeps sur les dents.

Elle s'appelle Martine Desjardins, elle a 30 ans et, depuis un an, elle dirige la Fédération étudiante universitaire (FEUQ) qui regroupe 125 000 étudiants.

Même son parcours est sage: élevée dans une banlieue tranquille, issue d'une famille unie, l'aînée de trois enfants. Elle a fait son secondaire dans une école privée, Regina Assumpta, une des plus huppées de Montréal. À l'époque, il n'y avait que des filles.

Pourquoi Regina Assumpta? «C'est Martine qui me l'a demandé», répond sa mère. Pourtant, elle vient d'un milieu modeste. Son père n'est jamais allé au cégep et sa mère a fait, sur le tard, un certificat en administration. Son frère et sa soeur n'ont jamais mis les pieds à l'université.

Martine Desjardins a eu une adolescence tranquille. Quelques folies, sans plus. Pas de drogue, pas d'alcool. Elle a fait son cégep en deux ans, puis elle a bouclé son baccalauréat et sa maîtrise en science de l'éducation.

L'été, elle travaillait comme intervenante sociale dans le quartier Saint-Michel. Elle a découvert les gangs de rue et la prostitution. Pendant l'année scolaire, elle bossait 30 heures par semaine à La Baie. Pas question de finir son bac avec des dettes.

Elle est au doctorat depuis quatre ans, elle se spécialise en adaptation scolaire. Son sujet de thèse: les relations père-enfant et la capacité d'adaptation à l'école. «Un sujet audacieux, affirme sa directrice de thèse, France Capuano. Elle aura une belle carrière universitaire.»

Elle s'est mariée à l'automne. Une cérémonie civile. Elle y croit, au mariage.

Sage, donc, mais intense. Personne n'a milité dans son entourage, ni ses parents ni son mari. Elle s'est lancée dans la lutte étudiante au doctorat. Elle s'ennuyait dans son bureau, loin de l'agitation du campus.

«J'adorais les débats dans les congrès et j'aimais travailler sur des dossiers», dit-elle.

C'est le coup de foudre. Elle s'engage et gravit les échelons du mouvement étudiant. Quand elle a été élue présidente de la FEUQ, elle savait que l'affrontement avec le gouvernement était inévitable.

Michèle Venet a dirigé son mémoire de maîtrise. Elle connaît bien Martine Desjardins. Elle a été étonnée de la voir diriger le mouvement de grève. «Je ne la voyais pas comme ça, dit-elle. J'ai été surprise, elle n'avait sûrement pas prévu ça.»

Elle ne lâche jamais. Une tête dure. «En maîtrise, elle a dû recommencer sa collecte de données. Elle l'a fait sans rechigner. Pourtant, ça représentait des heures de travail», raconte Mme Venet.

«Elle sait ce qu'elle veut, ajoute sa mère. Et ce n'est pas parce qu'elle est dans le trouble qu'elle va jeter l'éponge. Ce n'est pas son genre. Par contre, elle n'affronte jamais.»

Aujourd'hui, elle est à la tête de la plus importante grève étudiante de l'histoire, une grève marquée par l'affrontement non seulement avec la ministre de l'Éducation, mais aussi avec le premier ministre. Pour une fille qui n'aime pas l'affrontement...

Il y aura une vie après la grève. Martine Desjardins le sait. Elle aimerait enseigner dans une université, même si, aujourd'hui, elle ne se gêne pas pour remettre en question la gestion des institutions.

«Attaquer les recteurs, puis leur demander de m'offrir un poste, ça prend beaucoup de cran», dit-elle en riant.

Après avoir affronté le premier ministre, elle osera sûrement cogner à la porte des recteurs.

Sage et tranquille, mais tête dure.