D'un strict point de vue juridique, le gouvernement du Québec a toute la latitude nécessaire pour refuser la demande de prolongation de mandat déposée par la commission Charbonneau, estime le juge John Gomery. Devant la demande-surprise d'un délai supplémentaire, M. Gomery constate sans détour que la Commission a sans doute un peu traîné les pieds, le «sentiment d'urgence» qui aurait dû l'animer n'étant pas là.

«Politiquement, cela peut être plus délicat», observe le magistrat à la retraite, joint à sa ferme de l'Estrie. Le gouvernement ne voudra pas faire pression sur les gens de la Commission. Toutefois, le report du délai de la Commission au 30 novembre «a des conséquences pécuniaires», souligne-t-il.

Le responsable de la commission sur le programme fédéral de commandites, qui avait remis son rapport à la date prévue, en novembre 2005, avoue être «étonné de la durée de la prolongation demandée, sept mois. C'est important!». «C'est un aveu de la part de la Commission qu'elle n'a pas bien évalué l'ampleur de la tâche.» La commission Gomery avait duré 24 mois, le gouvernement Martin attendant les conclusions avant de lancer le pays en campagne électorale. Le rapport était tombé le 1er novembre 2005, comme convenu.

«C'est très long»

La commission Charbonneau demande «un autre délai supplémentaire [un premier sursis de 18 mois avait été accordé par le gouvernement Marois]. On est encore en janvier, il reste trois mois avant l'expiration du premier délai déjà accordé. Sept mois supplémentaires, c'est très long. Même dans des matières des plus complexes où un juge doit trancher, trois ou quatre mois, c'est normalement suffisant pour préparer une décision», explique M. Gomery.

En outre, à la différence d'un magistrat dirigeant un procès, la juge Charbonneau a à sa disposition toute une équipe de juristes et de rédacteurs, notamment. «Je présume qu'au fur et à mesure, ils ont fait des sommaires de la preuve. Ils ne partent pas de zéro!», souligne M. Gomery.

Spectateur assidu des audiences télévisées de la Commission, M. Gomery dit aussi avoir constaté «une absence du sentiment d'urgence», à la barre de cette commission. «Ils ont pris plusieurs congés, les journées n'étaient pas longues, parfois. Ils n'étaient visiblement pas pressés d'en finir», observe M. Gomery. Or le gouvernement et la population attendent les conclusions, ce qui aurait dû inciter la juge Charbonneau à presser le pas. «Je n'ai pas vu de volonté de travailler rapidement», conclut-il.

Même l'explication émanant de la Commission ne tient pas la route, selon lui. On attend la réponse des gens qui se sont vu transmettre un avis de blâme tout récemment. Pour le juge Gomery, la Commission aura attendu trop tard pour lancer ces avis. «La Commission peut dire: je vous donne un avis et vous avez un délai précis pour répondre. Sinon, je produirai mon rapport sans tenir compte de vos remarques.»

Jusqu'à 1,5 million par mois

La commission Charbonneau a terminé ses audiences publiques en juin dernier. Lancée en novembre 2011, elle avait coûté, en octobre dernier, 35,7 millions. Chaque mois de prolongation coûtera de 1,1 à 1,5 million aux contribuables.

Prudente, la ministre de la Justice Stéphanie Vallée a déclaré hier que le gouvernement étudie la demande de la commission Charbonneau. «On s'entend que des demandes de prolongation sont toujours des demandes de nature exceptionnelle. On va prendre le temps d'analyser la demande. Nous allons l'analyser de façon objective en fonction des éléments qui sont indiqués dans cette demande-là formulée par la juge», a-t-elle affirmé. Le gouvernement ne veut pas s'immiscer dans le travail de la Commission, mais son mandat et son échéancier sont de son ressort, a-t-elle rappelé.

Mais à en croire le leader parlementaire Jean-Marc Fournier, tout indique que le gouvernement acceptera de prolonger le mandat de la Commission. Son mandat doit être «accompli selon les règles de l'art», «au complet». «Bien sûr, on souhaite que ça se termine le plus tôt possible, mais ce n'est pas le délai et le temps, c'est la qualité du travail qui est de la première importance», a-t-il lancé.

«Il semble que l'échéancier est trop serré pour eux. Il faut être respectueux de ces demandes», observe de son côté le chef par intérim du Parti québécois, Stéphane Bédard.