Grâce aux liens d'amitié entre l'ancien ministre libéral Marc-Yvan Côté et Bruno Lortie, le chef de cabinet de Nathalie Normandeau au moment où elle était ministre des Affaires municipales, la firme de génie-conseil Roche a eu un accès privilégié pour faire avancer ses projets qui stagnaient.

L'ancien vice-président municipalités et bâtiments chez Roche, André Côté, est venu témoigner cet après-midi devant la commission Charbonneau du rôle joué par Marc-Yvan Côté au sein de Roche, où il a travaillé de 1994 à 2005, puis à titre de consultant de 2005 à 2011.

Une grande part du chiffre d'affaires de Roche était réalisé grâce à l'obtention de contrats d'infrastructures et de routes dans les municipalités du Québec. Ces projets dépendaient bien souvent des subventions accordées par le ministère des Affaires municipales.

« Marc-Yvan Côté avait ses contacts, ses entrées du fait qu'il était ami avec M. Lortie », a expliqué André Côté. « C'était comme une cartouche. Tu ne tires pas une cartouche pour rien, mais si tu avais besoin d'une rencontre et que tu n'étais vraiment pas capable de l'avoir, ou d'une information pour savoir comment cheminait ton projet aux Affaires municipales, souvent, en passant par Marc-Yvan Côté, ça nous permettait de faire bouger les choses», a expliqué André Côté.

Ces rencontres avaient parfois lieu en présence de Bruno Lortie, a expliqué André Côté, mais la plupart du temps, c'est son subalterne qui représentait le cabinet. Du côté du ministère, le chef des analystes techniques et l'analyste technique assigné au projet y participaient.

« Ce qui était difficile avec le ministère des Affaires municipales, c'était de faire coïncider le technique et le politique. Quand ton projet implique davantage d'argent, le cabinet doit intervenir. Car si tu n'es pas capable d'avoir de rencontres parce que le technique dit au politique que ton projet n'est pas viable, tu ne peux pas avancer. »

André Côté dit qu'il pouvait lui aussi téléphoner à Bruno Lortie, ainsi qu'à son subalterne Michel Binette.

Financement politique

André Côté a aussi admis que les employés de la firme Roche avaient servi de prête-noms pour faire des dons aux partis politiques.

« À chaque fois qu'il y avait une activité de financement quelconque, on était sur la première ligne pour être sollicités», a-t-il expliqué. Les demandes des partis politiques étaient «exponentielles», elles «fusaient de toutes parts», a-t-il illustré.

Une employée, France Michaud, était même responsable de « coordonner et de gérer les demandes des partis politiques.

« Il fallait tout de même budgéter des montants pour répondre aux différentes demandes autant au niveau municipal, provincial que fédéral », a expliqué Côté.

France Michaud a quitté Roche en 2009 après avoir été accusée de fraude dans le dossier d'agrandissement de l'usine d'épuration des eaux à Boisbriand.

«Dans notre esprit, si on collaborait aux cocktails de financement on aurait une meilleure réceptivité (aux Affaires municipales et au cabinet)», a dit André Côté.

Fin du chapitre sur le CUSM

Avant le témoignage de Côté, un vice-président et un directeur chez SNC-Lavalin ont admis ce matin devant la commission avoir « triché » en s'inspirant des croquis de leur rival pour concevoir leur plan du futur Centre universitaire de santé McGill.

Charles Chebl, qui était vice-président directeur à la construction chez SNC-Lavalin, a reconnu avoir enfreint les règles en rencontrant seul à seul Yanaï Elbaz, le responsable de la planification et du redéploiement du méga-hôpital. Au cours de cette rencontre, Elbaz lui a montré les plans de l'unité d'hospitalisation du consortium adverse, le géant espagnol OHL. Elbaz a ensuite envoyé les plans à Chebl par la poste.

C'était la deuxième fois que Chebl voyait les plans. Son supérieur chez SNC-Lavalin, Riadh ben Aissa, lui avait déjà montré dans son bureau. « Quand j'ai eu accès à ces dessins-là, je ne voulais rien faire avec ça, j'aimais notre concept », a-t-il déclaré, en avouant avoir ressenti un certain malaise.

Chebl a ensuite remis les plans à Yves Gautier, directeur de la conception du site Glen. «Je n'étais pas à l'aise», a admis Gautier, qui témoignait ce matin devant la commission Charbonneau. Avez-vous posé des gestes pour amoindrir ce malaise, a demandé l'avocat de la commission, Cainnech Lussiaà-Berdou. « Non », a répondu Gautier, qui a utilisé les plans.

« Avez-vous dénoncé à vos supérieurs? » « Non », a répondu le témoin.

Ces tractations se sont produites au moment où les deux consortiums devaient répondre à une série de questions du CUSM visant à améliorer leurs projets via l'Agence des partenariats publics-privés (PPP) en novembre 2009.

Chebl dit qu'il ne voulait pas insérer les nouveaux croquis de l'unité d'hospitalisation que SNC-Lavalin avait améliorée grâce aux plans volés à OHL dans la lettre d'engagement à l'Agence des PPP.

«Par principe, je ne voulais pas le faire, mais j'ai été forcé de le faire », a dit Chelb.« On m'a instruit de le faire, je n'ai pas eu le choix... J'ai un patron qui me dit 'tu fais ça', j'ai été engueulé », a-t-il ajouté.

Ironie du sort, Chebl a dit que sa « hantise » était que les plans de SNC-Lavalin soient coulés à OHL en raison du grand nombre de personnes qui siégeaient sur les comités de sélection du futur méga-hôpital.

Lorsque le scandale du CUSM a éclaté au grand jour à l'automne 2012, Yves Gauthier a pris le téléphone et a contacté l'Unité permanente anti-corruption (UPAQ).

Charles Chebl et Yves Gauthier sont toujours à l'emploi de SNC-Lavalin. Ils ne sont pas accusés dans cette affaire.

Huit personnes sont actuellement accusées de fraude, complot, abus de confiance et commissions secrètes et recyclage des produits de la criminalité dans cette affaire, mais aucun procès n'a eu lieu pour l'instant.

Les autorités soupçonnent le Dr Porter et Yanaï Elbaz d'avoir magouillé pour que le consortium dirigé par SNC-Lavalin remporte le contrat de 1,3 milliard en échange d'un pot-de-vin de 22,5 millions.

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Charles Chebl