L'ex-député libéral David Whissell aurait fait des « pressions » sur un cadre du ministère des Transports du Québec (MTQ) pour obtenir la programmation des travaux à venir dans sa circonscription.

«Je lui ai dit que ça ne se faisait pas et j'ai avisé mon patron qu'il faisait des pressions. Le message que j'ai eu par après, c'est que Whissell s'est fait dire de se calmer, parce qu'il ne pouvait pas avoir ce genre d'information-là», a déclaré cet après-midi devant la commission Charbonneau, l'ancien directeur territorial de la région Laurentides-Lanaudière, Mario Turcotte.

David Whissell a été député libéral de 1998 à 2011. En plus d'être politicien, il fut propriétaire et président d'une bétonnière, Béton 344, de 1994 à 2002 et propriétaire d'intérêts dans l'entreprise d'asphaltage ABC Rive-Nord, à partir de 2002.

Selon les notes de travail de Mario Turcotte présentées à la commission, Whissell lui a aussi téléphoné en 2001 ou en 2002. Il s'intéressait aux contrats d'asphalte dans la région.

« J'ai rappelé David Whissell en fin de journée, on maintient la décision de ne pas donner le contrat », peut-on lire dans les notes manuscrites de Turcotte.

Le témoin a été avare de détails pour expliquer le contexte dans lequel la note a été écrite et si elle touchait une entreprise de Whissell.

Devant la commission lundi, l'ancien adjoint du sous-ministre des Transports, Gilles Roussy, a déclaré que Whissell s'était ingéré de façon « inappropriée » auprès de Turcotte pour tenter de renverser le résultat d'un appel d'offres en 2003 ou en 2004. Mario Turcotte ne s'en souvient pas. «Si M. Roussy l'a dit, je suis convaincu que j'ai reçu un appel», a-t-il cependant ajouté

« On m'a crucifié », dit Whissell

En entrevue avec La Presse, David Whissell a déclaré que la commission s'acharnait sur lui et qu'il n'y avait absolument rien de mal à demander la programmation du MTQ. « Qu'un député sache les intentions du ministère, il n'y a rien de non conforme là-dedans», a-t-il déclaré.

« De l'intervention j'en ai fait dans tous les ministères, le mot intervention est un synonyme de politique», a-t-il ajouté.

David Whissell ne se souvient pas par ailleurs de s'être fait demander de « calmer » ses interventions auprès du MTQ. Il ne se souvient pas non plus d'avoir demandé à Turcotte de renverser le résultat d'un appel d'offres.

« Lundi, on m'a crucifié sur du ouï-dire de quelqu'un que je n'ai jamais rencontré. Aujourd'hui, on est venu me blanchir et personne n'ose l'écrire.»

Whissell a déclaré qu'il n'avait pas reçu d'assignation à comparaître devant la commission.

Commande politique

Mario Turcotte affirme qu'il a reçu une seule commande politique pour accorder un contrat tarifé (sans appel d'offres) à la compagnie Bourget en 1998 à Saint-Barthélémy. Il a acquiescé à la demande, mais ne se souvient pas de la personne qui lui a passé la commande.

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Mario Turcotte

Collusion dans le pavage: « Je le sais depuis au moins 20 ans »

En avant-midi la commission a fini d'entendre l'ancien adjoint du sous-ministre des Transports, Gilles Roussy. Ce dernier a déclaré qu'il savait depuis « au moins 20 ans » que des entreprises se partageaient les territoires afin de se diviser les contrats de pavage du MTQ.

Il y a quelques semaines, la commission a levé le voile sur un stratagème de «pactes de non-agression» et de soumissions truquées qui permettait à un petit nombre de firmes de se partager les contrats d'asphalte tout en gonflant leur marge de profit de 10 à 15%.

Gilles Roussy a aussi expliqué avoir remarqué qu'après le lancement d'un programme d'investissement majeur dans les infrastructures pour stimuler l'économie après le 11 septembre 2001, les plus bas soumissionnaires dans plusieurs projets dépassaient largement les estimations du ministère. « On était parfois à 20%, 30% ou 35% de plus », a-t-il illustré. « J'ai découvert qu'il y avait des contrats qui sortaient beaucoup plus vite. »

Normalement, un contrat ne peut être accordé si le plus bas soumissionnaire est 10% au-delà de l'évaluation du MTQ.

Ce fut notamment le cas dans les dossiers de réfection du rond-point l'Acadie, de l'autoroute Descaries et des voies menant à l'Île Charron.

Enquête

Dans le dossier Descaries, Gilles Roussy a commandé une enquête pour déterminer s'il y avait eu collusion entre les firmes.

Elle a révélé que 39 compagnies ont demandé des documents pour faire une soumission, mais au final, seulement deux ont appliqué. Kiewit a soumissionné à 38,9 millions et E.B.C-Chagnon à 39,7 millions. L'estimation initiale du ministère était de 28,9 millions.

Dans son rapport, l'enquêteur ne conclut pas à une « coalition » sur cet appel d'offres.

Il a cependant rencontré les dirigeants de quatre firmes concurrentes pour faire la lumière sur cette affaire. « Tous ces dirigeants d'entreprises nous ont affirmé qu'ils se parlent pour savoir s'ils soumissionnent sur tel ou tel appel d'offres », écrit-il dans son rapport déposé en preuve devant la commission. «Le fait que les entrepreneurs savent qu'ils sont peu à soumissionner augmente les prix considérablement. »

Selon Roussy, le MTQ n'a pas les ressources pour mener des enquêtes d'envergure sur la collusion. « Le budget des enquêtes au MTQ est inférieur à un demi-million, incluant les salaires. Tu ne peux pas faire craquer les gros joueurs. »

Dans le projet de l'Île Charron, seulement trois entreprises ont soumissionné sur le projet à des prix inexplicablement très élevés. Le MTQ est retourné en soumission et cette fois, deux joueurs seulement ont appliqué en haussant leur prix de 1 million. Le MTQ a alors reporté les travaux d'un an. « L'objectif était de retirer une pointe de tarte du partage du gâteau », a-t-il dit.

Selon Roussy, le gonflement des prix a un impact à long terme sur les estimations du ministère puisque les estimations sont établies selon les coûts historiques.

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L'ancien adjoint du sous-ministre des Transports, Gilles Roussy, était à la barre de la commission plus tôt aujourd'hui.