L'ancien député libéral David Whissell s'est ingéré de façon « inappropriée » pour tenter de renverser le résultat d'un appel d'offres, a déclaré l'ancien adjoint du sous-ministre des Transports, Gilles Roussy, lundi après-midi, devant la commission Charbonneau.

Le témoin n'a pas été en mesure de préciser de quel contrat il s'agissait, mais l'affaire remonte à 2003 ou 2004, a-t-il précisé. Le député d'Argenteuil avait alors téléphoné au directeur territorial de la région Laurentides-Lanaudière du ministère des Transports du Québec (MTQ) Mario Turcotte pour lui faire part de son insatisfaction.

« Il y a eu une intervention, je ne sais pas si c'était pour annuler l'appel d'offres ou retourner en appel d'offres, mais il n'était pas content du résultat », a déclaré Roussy, qui était aux côtés de Turcotte lors de cette conversation.

Dans cette affaire, a expliqué Roussy un « outsider » avait soumissionné au plus bas prix et avait donc remporté le contrat. « Ma réaction a été d'envoyer le contrat par la poste, je voulais démontrer que non seulement on n'annulerait pas mais qu'on allait l'accélérer. »

Roussy a informé ses supérieurs de cette transgression. « Je suis allé au cabinet et j'ai informé le directeur-adjoint, le chef de cabinet-adjoint de la conduite inappropriée du député et je lui ai dit que s'il avait des doléances à faire, qu'il le fasse au ministre ou ailleurs, mais pas dans l'appareil administratif. »

Whissell ne se souvient pas

Joint par La Presse, David Whissell soutient ne pas se souvenir de ces événements.

«Pourquoi n'ont-ils pas dit de quel contrat il s'agissait ? Cela fait plus de dix ans et franchement je ne me souviens pas de ça» a-t-il soutenu.

Il n'est pas impossible qu'un député puisse s'adresser aux fonctionnaires du ministère des Transports, a-t-il ajouté. «J'ai déjà eu le cas de commettants dont la maison avait été remplie de poussière à cause de travaux avoisinants, et je m'étais assuré que le ministère remette tout en état» se souvient M. Whissell.

Le ministre des Transports à l'époque, Yvon Marcoux soutient aussi de son côté ne pas se souvenir d'une intervention de l'ex-député Whissell.

La commission Charbonneau a entendu deux autres témoins aujourd'hui, tous du cabinet du MTQ. Gilles Roussy poursuivra son témoignage demain matin.

Collusion à Laval: plusieurs hauts responsables du MTQ informés dès 2003

L'ancien ministre des Transports, Serge Ménard, son chef de cabinet et son sous-ministre ont tous été informés de l'existence de la collusion dans l'octroi des contrats de la Ville de Laval dès 2003. Et quand le gouvernement péquiste a été défait aux élections quelques mois plus tard, l'information a été communiquée au nouveau ministre libéral Yvon Marcoux, ainsi qu'à son chef de cabinet.

C'est ce qu'ont déclaré devant la commission Charbonneau, aujourd'hui, l'ancien sous-ministre aux Transports, Jean-Paul Beaulieu et l'un de ses conseillers François Beaudry.

Ce dernier est le fonctionnaire qui a sonné l'alarme sur les processus d'appels d'offres truqués à Laval et à Montréal, d'abord auprès de ses supérieurs en 2002, puis auprès de la Sûreté du Québec (SQ). Insatisfait de la lente progression du dossier, il a révélé en 2009 à l'existence du «Fabulous 14», ce petit groupe d'entrepreneurs qui se divisait les contrats dans la grande région de Montréal, à l'émission Enquête de Radio-Canada.

«Je m'attendais à une grosse razzia policière au MTQ dès 2004, mais elle n'est jamais venue», a-t-il déclaré devant la commission ce matin.

Ingénieur de formation, François Beaudry a été conseiller au bureau du sous-ministre des Transports de 2000 à 2007.

Fin 2002, il reçoit l'appel d'un entrepreneur de la grande région de Montréal, qui lui révèlera la facilité avec laquelle les entrepreneurs contournent les règles.

« Il m'explique qu'à la Ville de Montréal, l'ensemble des contrats font l'objet de collusion, se rappelle-t-il. Il disait que c'était contrôlé à 100% par la mafia italienne. Tandis qu'à Laval c'est contrôlé par la Ville elle-même. »

Son informateur lui apprend également que les ingénieurs dans les firmes de génie communiquent des informations au plus bas soumissionnaire, permettant de gonfler artificiellement les prix des travaux.

Beaudry demande à son informateur pourquoi il ne contacte pas la police. « Tu ne peux pas t'imaginer le réseau d'influence de ces gens-là. Jamais je ne parlerai à la police », a répondu l'entrepreneur mystère.

Beaudry relayera immédiatement ces informations au sous-ministre Jean-Paul Beaulieu et au sous-ministre-adjoint Gilles Roussy, qui voudront des preuves. Elles viendront peu de temps après.

Soumissions truquées à Laval

Le 18 février 2003, l'informateur de Beaudry, dont il a toujours gardé l'identité secrète, lui passe à nouveau un coup de fil. Nous sommes à la veille de l'ouverture des soumissions à la Ville de Laval. L'informateur lui fait alors la liste de dix numéros de projet et identifie qui remportera le contrat. Lorsqu'il raccroche, il photocopie ses notes et les donne au sous-ministre adjoint Gilles Roussy.

Le lendemain, Beaudry téléphone à la Ville de Laval pour connaître le résultat des appels d'offres. Le résultat est identique aux prédictions de son informateur, à l'exception de deux projets qui ont été interchangés à la dernière minute.

Le jour même, Jean-Paul Beaulieu contactera Florent Gagné, alors directeur-général de la Sûreté du Québec, qui confiera le dossier à un enquêteur des crimes économiques.

« J'ai parlé avec Serge Ménard après mon appel à la SQ. Il avait vécu l'opération des Hells Angels donc il m'a dit : «prenez le temps qu'il faut pour enquêter, ça va prendre plusieurs années.» »